Haiku décortiqué #2 : Fukuda Chiyo.ni

Pour continuer sur le thème des papillons, voici un magnifique haiku de Chiyo.ni, une des poétesses les plus célèbre de l’époque Edo.

Petite récapitulation de ce qu’on attend d’un haiku classique:

  • la métrique 5-7-5, qui donne au haiku classique tout son sens et rend le poème réutilisable dans différentes situations (renga).
  • 1 kigo ou mot de saison qui pose un décor, provoque des images et des sensations dans l’imaginaire du lecteur
  • 1 mot de césure qui viendra donner de la profondeur au poème en suggérant une émotion plus ou moins intense.

L’analyse en image :

La métrique 5-7-5

Dans la traduction, j’ai choisi de laissé la ligne 1 un simple, c’est-à-dire sans chercher à combler la syllabe manquante. J’aurais pu mettre “de ces papillons” par exemple, mais cela aurait changé radicalement le sens du poème et la scène suggérée au lecteur. Ici l’accent est mis sur la ligne 3 (avec la césure). Ce que Chiyo.ni nous invite à regarder ces sont les fleurs des champs qui lui rappelle les rêves des papillons. “Ces papillons” donnerait à penser qu’elle voit les papillons, l’effet serait plus centré sur les papillons, ce qui n’est pas le choix de l’auteur.

Quand on a 17 syllabes pour charmer son lecteur, chaque mot a une importance cruciale. Ici il s’agit d’une traduction donc le travail est un peu différent, mais quand tu écris un poème essaye vraiment de trouver les mots justes. Si tu veux rajouter un adjectif pour combler le nombre syllabes par exemple, demande-toi toujours qu’est-ce que ce mot apporte? qu’est-ce que cet adjectif va provoquer comme images chez ton lecteur? est-ce qu’il vient renforcer l’émotion principale de ton poème ou est-ce qu’il va juste détourner l’attention de ton lecteur?

Un kigo

Ici le kigo est clairement les papillons. Voici la définition de ce kigo par Seegan Mabesoone sur son site proposant un éphéméride à l’usage des poètes :

Au printemps, les premiers papillons naissent de leur chrysalide, et sont encore visibles tout l’été et une partie de l’automne. Si les papillons ressemblent aux fleurs, c’est certainement parce que le seul but de leur vie est de butiner, librement. Quand on ne précise pas la saison, il suffit de dire “papillon” pour évoquer le printemps.

Seegan Mabesoone, http://www.osk.3web.ne.jp/logos/saijiki/saijikifp.html, n°100.

Les fleurs des champs ici viennent rehausser le kigo par un jeu d’échos. Les papillons légers et colorés du printemps et les fleurs colorées parsemant les champs, tous vouées à une fin précoce, symboles de l’éphémère.

Un mot de césure (kireji)

Il vaut mieux penser mot de césure que “la césure” car ce terme peut prêter à confusion avec son utilisation en littéraire française. Dans le haiku, le mot de césure sert à donner de l’émotion, sert à faire réagir le lecteur et l’invite à faire des liens avec sa propre expérience.

Ici le mot de césure est kana*. Il suggère l’admiration et invite le lecteur à savourer le(s) mot(s)que le précède(nt). Dans ce poème, tu es donc invité.e à “vivre” le champs de fleurs, à voir les coquelicots et les bleuets, à sentir les doux parfums venir à toi au gré du vent, etc. Cette profondeur émotionnelle est sublimée par la légère surprise du lien fait entre les papillons et les fleurs tout comme la vague d’émotion provoquée par ce spectacle des champs colorés.

*En japonais moderne, kana marque l’incertitude, ce n’est pas le cas en japonais classique.

Alors ?

Qu’est-ce que tu en dis ? Est-ce que ce genre d’analyse poussée t’aide, te questionne, te confond en perplexité ? N’hésite pas à partager tes ressentis avec moi.

(c) av, Sakura et papillon I, 2023.

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(C) Le Japon avec Andrea, 2023, tous droits réservés.

Haïkus écrits lors de l’atelier du 1er juillet

Un grand merci à tous les participants qui ont fait de cet atelier un véritable moment de plaisir et de création enjouée! Voici leur poèmes:

Photo: Georges Didi-Huberman, Survivance des lucioles (Minuit, 2009)

Lucioles d’autrefois

Pour très longtemps disparues

Quand reviendrez-vous?

Glace fondante

J’aime ton parfum sucré

Plaisir de l’été

Rouge demi-lune

Fraîche sur mon assiette

Tranche de pastèque

A l’ombre du pin

Les vagues lèchent le sable

Pieds en éventail

Moiteur de l’été

Champs de blé et tournesol

qu’orages et vents couchent

Midi… soleil blanc!

Au crépuscule coloré

Le chant dans les champs

Fleurs de laurier roses

Dernier parfum du jasmin

Il fait encore frais

Un moineau s’égosille

Que ferais-je aujourd’hui?

(Tenka)

Dimanche 1 juillet 2018 – VISITE ATELIER – Eté et poésie

Dimanche 1er juillet 2018 – 14h15

Été et poésie.

VISITE-ATELIER D’ÉCRITURE (durée 1h30), adultes.

Venez découvrir l’univers des haikus d’été à travers les œuvres de la collection japonaise, avant de vous frotter à l’exercice lors de l’atelier d’écriture.

Rendez-vous à 14h15 au musée!

Fondation Baur, Musée des Arts d’Extrême-Orient – Rue Munier-Romilly, 8 – 1206 Genève

www.fondationbaur.ch

Prix: 20 CHF par personne (y compris Amis du musée), prix unique, à payer sur place en liquide.

Dans la limite des places disponibles – Inscription obligatoire: desexposenfolie@yahoo.fr – 077 471 40 85

Bibliographie:

  • Haiku, Anthologie du poème court japonais, Corinne Atlan, Zéno Bianu, NRF, Poésie/Gallimard, 2002.
  • Bashô, Haikus et notes de voyages, Nozarashi Kikô, Synchronique Editions, 2016.
  • Quelle chaleur! haikus d’été, trad. du japonais par Cheng Wing fun & Hervé Collet ; calligraphie de Cheng Wing fun, éd. Moudaren, 1990
  • A la recherche de l’instant perdu: anthologie du haiku, trad. Cheng Wing fun et Hervé Collet, éd. Moundarren, 1991.