Le livre du mois – décembre 2022

Première neige sur le mont Fuji

KAWABATA Yasunari

S’il avait passé ainsi une première nuit avec une inconnue, la matinée aurait été désagréable. Il n’aurait pu ressentir cette affection qui le liait à Utako.

Pourtant, il ne pouvait lui en parler.

-Quand on s’est séparé, il y a longtemps, j’ai désespéré en pensant que la rupture était définitive, mais il est resté entre nous quelques chose d’important. D’important, et qu’il nous faut conserver précieusement.

– Tu parles comme une énigme.

-A résoudre?… ou pas?…, fit Utako en hochant la tête, comme s’interrogeant elle-même,

-Un couple autrefois séparé qui se retrouve: c’est une grande chance que cela ne se termine pas en déferlement de haine, tu ne crois pas?

-Tu as raison.

C’est par un bus qui partait peu après quatorze heures qu’ils descendirent vers Odawara. Et c’est depuis la fenêtre du train qui les reconduisait à Tokyo, en sens inverse de la veille, qu’ils contemplèrent la Fuji sous sa première neige.*

Une douces série de nouvelles mettant à l’honneur les relations humaines et l’introspection sur sa propre vie. En couple, en famille ou encore au seuil de la mort, chaque personnage revisite des tranches de passé parfois douloureux, mettant en avant l’ambivalence de la Vie : rien n’est tout blanc ou tout noir.

Nos choix se répercutent à travers le temps pour donner saveurs et couleurs à chaque épisode qui vient former l’ensemble d’une vie. A nous de définir la couleur de notre avenir!

Au plaisir de lire tes commentaires!

………….

* KAWABATA Yasunari, “Première neige sur le mont Fuji,”, éd. Albin Michel, collection Le livre de Poche, Paris, 1994, p.42.

Haiku : ma sélection de livres

Voici une petite vidéo décontractée en cette fin d’année pour te partager mes go to dès qu’il s’agit de livres autour du haiku.

Si tu me suis depuis un moment, certains ouvrages ne te surprendront pas… pour les autres c’est cadeau!

Je précise que dans le domaine des livres sur le thème du haiku il y en a pour tous les goûts et ici je te partage mes coups de cœur ainsi que les atouts et les inconvénients de chaque édition à mon sens.

Personnellement, je suis assez critique car j’écris des haiku, donc au-delà du plaisir de la lecture ce sont aussi des outils de travail. Dans la même idée, j’aime la langue japonaise (que je parle) donc pouvoir lire les haiku grâce à une transcription sans avoir besoin de chercher les kanji non simplifiés ou calligraphiés est un plus…

Bref, selon tes goûts et tes besoins, tu sauras trouver les ouvrages qui résonnent en toi… ou pas.

Si tu as déjà une bibliothèque personnelle full de livre sur le haiku, n’hésite pas à partager en commentaire ta liste de favoris. Et si tu est novice, vas te perdre dans les rayons de la bibliothèque côté littérature japonaise ou poésie ou encore dans ta librairie préférée et fais ta propre sélection!

J’ai hâte de découvrir tes goûts en matière d’édition poétique \\ (^ – ^) //

Bibliographie complète (par ordre d’apparition) :

  • CHENG Win fun & COLLET Hervé (trad. du japonais par), On se les gèle! haikus d’hiver, éditions Moundarren, 1990.
  • CHENG Win fun & COLLET Hervé (trad. du japonais par), Ah! le printemps, le printemps ah!, ah! le printemps, haikus de printemps, éditions Moundarren, 1991.
  • KERVERN Alain, Grand Almanach Poésie Japonais, éditions Folle Avoine, 1992. 5 volumes:
    • Livre I, Matin de neige, le Nouvel An
    • Livre II, Le réveil de la loutre, le printemps
    • Livre III, La tisserande et le bouvier, l’été
    • Livre IV, A l’ouest blanchit la lune, l’automne
    • Livre V, Le vent du nord, l’hiver
  • CHIPOT Dominique, KEMMOKU Makoto (trad. et prés. par), L’intégrale des haïkus: Bashô, seigneur ermite, éd. Points, 2014.
  • CHIPOT Dominique, KEMMOKU Makoto (trad. et prés. par), Anthologie, du rouge aux lèvres, Haijin japonaises, éd. La Table ronde, 2008.
  • MABESOONE Seegan (choisis, présentés et traduits par), IKEDA Mitsuru (haiga), Kobayashi Issa, Haïkus satiriques, éditions Pippa, 2015.
  • TREVISAN Elisabetta (sélection des textes et choix iconographique), Haiku: Les paysages de Hokusai, éditions du Seuil, 2017.
  • TREVISAN Elisabetta (sélection des textes et choix iconographique), Haiku: Pensées de femmes, éditions du Seuil, 2018.

Si tu aimes les haiku et que tu veux apprendre à en écrire, inscris-toi à ma newsletter bimensuelle dédiée au haiku et à la littérature japonaise.

Quiz Haiku #1

Pour s’amuser un peu est varier mes publications instagram sur le thème du haiku, je t’ai proposé un petit quiz.

Voici un de mes haiku, à toi de choisir qu’elle 3e ligne est la plus appropriée?
….
sous la bouillotte
je compte mes cheveux blancs


A. et le temps file…
B. dans un bâillement
C. poussière de vie

….

Quelle réponse as-tu choisie ?

Voici mon retour en vidéo (7 minutes).

Bisous

Le Livre du mois – novembre 2022

Interminablement la pluie

KAFU Nagai

Lors, plus que le vent et plus que la lune, et plus que le chant des insectes, il n’est sans doute pour celui qui vit seul rien d’aussi douloureux que la pluie. […]

“Ainsi, quand la pluie frappe les fenêtres. coule le long de l’auvent, dégoutte sur les arbres et lave les bambous, son écho l’emporte, pour émouvoir le cœur des hommes, sur le vent qui crie dans les arbres et sur l’onde qui suffoque dans les précipices. La voix du vent est voix de courroux, la voix de l’onde est de sanglots. Mais la voix de la pluie ne se courrouce ni se lamente; simplement elle se raconte et elle se confie. Depuis mille générations, le cœur humain reste le même, et qui donc, par une nuit solitaire, en écoutant de son oreiller le son de cette voix, ne se sentirait envahir par la mélancolie? […]” *

Un des premiers auteurs japonais que j’ai lu et qui a radicalement influencé mon amour pour le Japon. Un retour sur ce Japon d’Edo à travers le regard d’un passant nostalgique qui peine à accepter le nouvel air de la Restauration de Meiji et qui préfère discuter poésie et solitude.

Viens flâner dans les ruelles avec Kafû et respirer l’air d’un temps révolu, qui n’existe plus que dans les livres…

Au plaisir de lire tes commentaires!

………….

* KAFÛ Nagai, “Interminablement la pluie,”, éd. Picquier, Paris, 1994, p.52-53.

Mes 5 outils indispensables pour écrire des haiku n’importe où

Aujourd’hui je t’emmène avec moi sur les chemin de l’écriture poétique.

Dans ton sac tu auras besoin d’une gourde, de couleurs, d’une dose de bonne humeur, mais aussi ces 5 outils indispensables pour faire de cette expérience un moment exceptionnel.

Outil #1 : la nature

Il te suffit d’ouvrir les yeux pour observer la nature sous tous ses angles avec tous tes sens. La nature est une source d’inspiration poétique infinie à qui sait la regarder, spécialement quand on aborde l’écriture de haiku.

Unis ton cœur à ses battement s d’ailes et l’écriture ne sera que plus aisée.

Image (C) AVillat 2022. Novembre au bord du Léman.

Outil #2 : la lecture

Un ou deux livres de référence. Moi j’adore les recueils des éditions Moundarren qui répertorient les haiku des quatre saisons, mais qui présentent aussi différents auteurs avec la version originale des poèmes et leur traduction française.

J’aime aussi les anthologies proposées par Dominique Chipot et Makoto Kemmoku (éd. La Table ronde) ou encore le “Grand Almanach Poétique Japonais” (5 volumes) d’Alain Kervern aux éditions Folle Avoine. Une merveille.

Bref, accompagne-toi d’auteurs plus ou moins connus qui t’aideront à trouver l’inspiration si besoin.

Assis sur une pierre à lire tes haiku préférés à haute voix dans le silence de la forêt est aussi une expérience à tenter…

Image (C) AVillat 2022.

Outil #3 : un carnet dédié

Un joli carnet dédié à ton écriture de haiku. Rien de pire que de chercher un petit poème perdu entre deux prises de notes ou au dos de la liste de course… Choisi un joli carnet plus ou moins épais selon ta pratique.

Jusqu’à récemment j’utilisais différents carnets au fil de trouvailles inattendues, mais maintenant j’ai créé un format de carnet A5 ou A6 au design spécialement pensé pour l’écriture de haiku. C’est génial et tellement pratique : une page dédiée à la prise de note et une page dédiée au haiku final avec de la place pour un dessin, une fleur séchée ou autre trésor déniché au fil de ce temps pour toi.

Image (C) AVillat 2022

Outil #4 : un répertoire de mots de saison

Le site saijiki en français proposé par Seegan MABESOONE qui regroupe de nombreux kigo classés selon les saison. Ce site te permet de découvrir de jolis mots de saison (couleurs de montagne, la montagne rit, les eaux limpides, etc.) et de t’inspirer quand tu es en panne.

C’est un très bon moyen de commencer quand on ne se sent pas tout à fait dans le coup. Choisis un kigo qui te parle et écris.

Image by Susann Mielke from Pixabay (libre de droits).

Outil #5 : un dictionnaire

N’oublie pas de prendre ton dictionnaire ! Papier ou numérique, les dictionnaires de synonymes ou de scrabble te permettront de trouver le mot juste tout en préservant le nombre de syllabes.

Image (C) AVillat 2022.

Et toi, quels sont tes outils incontournables ?

N’hésite pas à partager en commentaires

Murmures de dragon sous le mont Fuji

Avec cet article je renoue avec ma passion première, celle de l’art japonais.

Quoi de mieux que de se faire plaisir avec un artiste comme Hokusai…

… et une figure aussi belle qu’incontournable qu’est celle du mont Fuji ?

Donc aujourd’hui je te présente une œuvre qui figure dans mon palmarès ultime, le ehon* “Cent vues du mont Fuji” (3 volumes) de Katsushika Hokusai (1760-1849) publié entre 1834 et 1835 pour les deux premiers volumes et les années 1840 pour le troisième.

Outre la force et la virtuosité que l’on connaît des estampes de Hokusai, ce qu’on trouve dans ses ehon c’est aussi un humour et une audace extraordinaire.

Pour voir ça en détail, je te propose de découvrir une des planches du volume 2 intitulée “Tôryû no fuji”.

* voir en bas de page pour le glossaire des termes japonais.

http://www.degener.com/1606-35a.htm

Quelques jeux de mots

Tout d’abord, parlons humour.

Dans chaque estampe, on trouve toujours un cartouche mentionnant le nom de la série à laquelle appartient l’image, mais aussi le nom de la scène. On trouve ensuite différents sceaux permettant d’identifier les différents artistes ayant travaillé sur l’image (graveur, imprimeur, éditeur, etc.).

Dans les ehon, c’est bien sûr différent. On trouve sur l’image en elle-même uniquement le titre de la planche (on trouvera parfois sur la tranche le titre de l’ouvrage). Ici les cartouches sont minimalistes.

Le titre de cette planche : “Tôryû no fuji” (登龍の不二) (oui, ça se lit de haut en bas et de droite à gauche).

Et là, magie du japonais, plusieurs images nous sautent aux yeux!

Le mont Fuji en japonais s’écrit normalement avec les kanji suivants : 富士山 (fujisan), littéralement la montagne (山) de la richesse (富) et de l’abondance (士).

Alors pourquoi Hokusai a-t-il utilisé d’autres kanji ?

Tout simplement pour créer la surprise et donner plus de profondeur à son œuvre.

不二 (fuji) se prononce de la même manière que 富士 (fuji).

Par contre, si l’un signifie la “montagne de la richesse et de l’abondance”, l’autre signifie “dont il n’y en a pas deux” ou ” sans égal”.

Hokusai joue donc sur les mots sans rien enlever à l’aura sacrée de la montagne la plus haute du Japon (3776 m), symbole national par excellence et source intarissable d’inspiration artistique.

Mais ce n’est pas fini avec les jeux de mots…

Parce que Hokusai est très fort à ce jeu, mais aussi parce que les amateurs d’images sont friands de ce genre de raffinements.

On se rappelle aussi que l’objectif de ces ehon est d’être vendus… Si une série d’estampes de haute qualité pourra se vendre très cher à des amateurs fortunés, les ehon sont destinés à un plus large public. De la même manière, si une estampe peut se vendre à l’unité, le ehon se vend en plusieurs volumes. Or, si l’éditeur veut que l’acheteur revienne pour le volume 2, il faut lui donner de quoi assouvir sa soif de jeux, de surprises et de nouveautés.

C’est là que l’imagination et l’audace graphique de Hokusai entrent en scène.

Revenons au titre de cette planche : “Tôryû no fuji” (登龍の不二) et plus particulièrement cette fois sur 登龍 (tôryû).

Pour un Japonais, le lien se fait tout de suite avec l’expression “登龍門” (tôryûmon) qui signifie “les portes du succès” ou “ouvrir la voie au succès”.

En revanche, si on prend les kanji séparément, on a 登 “grimper” et 龍 “dragon”, ce qui nous donne littéralement “dragon grimpant”. Un lien subtil est ainsi fait avec les deux éléments prédominants de cette planche : le dragon et le mont Fuji.

Il s’agit donc de nouveau d’un jeu de mots délicat mêlant bon augure jeu visuel. Cette mise en abyme du thème à plusieurs niveaux est un des aspects sophistiqués recherché par les amateurs d’estampes de l’époque Edo.

Et toi, quel titre tu préfères alors ?

Fuji au dragon grimpant ou Fuji de la voie du succès ?

Prouesse graphique en toute simplicité

Si ses grandes estampes nishiki-e telles que la célèbre série “Trente-six vues du mont Fuji”, outre leur beauté, sont parfois un peu figées, les illustrations de livre de Hokusai sont toujours pleines de vigueur. A tel point qu’on doit être capable de pouvoir fermer le livre si on se sent submergé d’émotions !

La beauté graphique et la vigueur des lignes sont ce qui fait la force des illustrations de livre de Hokusai.

Si les estampes luxueuses sont recherchées pour la variété subtile des couleurs (dont le fameux bleu de Prusse qui, suivant un effet de mode, est particulièrement mis à l’honneur dans les”Trente-six vues du mont Fuji” ) et les effets techniques (gaufrage, etc.), les ehon sont de simple feuilles de papier de riz imprimées en noir et blanc.

La magie opère donc ailleurs.

Entre les formes et les lignes.

Le mont Fuji, figure par excellence de la grandeur et de la beauté du Japon, prend à lui seul toute la première page (oui, un ehon se lit de droite à gauche!). Ses lignes épurées touchent le ciel, libre de toute nuisance.

Vient ensuite le dragon et sa force intrinsèque. Il amène la foudre et les nuages, eux aussi stylisés en de belles volutes régulières.

Les contrastes sont saisissants :

  • la sobriété du Fuji contre les détails du dragon
  • le lointain clair contre le proche foncé (il s’agit d’un code graphique)
  • la diagonale forte provoquée par l’écart entre nos deux motifs (Fuji en haut à droite et dragon en bas à gauche).

Un mot encore sur la technique d’impression.

Il est intéressant de rappeler ici que si Hokusai est l’auteur de ces images, il n’en est pas l’exécuteur.

Je m’explique.

Hokusai fournit le dessin en lui-même, que lui a commandé l’éditeur. C’est ensuite l’éditeur qui choisit un graveur puis un imprimeur qui vont à tour de rôle prêter leur talent pour faire de ces images les chefs-d’œuvre que l’on connaît aujourd’hui.

Je le mentionne ici pour souligner l’importance de chaque aspect de la création d’une estampe, notamment celui de l’impression, car c’est elle qui va rendre l’estampe unique.

Si la planche est gravée une fois, elle doit être re-encrée avant chaque passage d’impression. On peut donc trouver différentes versions d’une même œuvre dû au choix de l’imprimeur.

C’est surtout valable pour les nishiki-e, mais on retrouve aussi cet aspect ici par exemple avec le dégradé en bas de l’image ou le détail dans les volutes.

Chaque passage est l’occasion d’infimes variations.

Pour aller plus loin

  • J’en profite aussi pour te dire qu’une conférence dédiée au motif du mont Fuji vu par Hokusai sera disponible dans un Set Box de Noël mis en vente dans ma boutique éphémère du 28 novembre au 04 décembre prochain (lien valable dès 17h le 28 novembre). Idéal à glisser sous le sapin des passionnés du Japon!

Vocabulaire

ehon : littéralement “livre d’images“. En opposition aux yomihon de l’époque Edo où le texte était prédominant. Dans les ehon on trouve généralement une succession d’images avec parfois une page de texte en début et en fin de volume uniquement. Ces ehon servaient entre autres de manuels didactiques pour les amateurs d’art.

kanji : idéogrammes chinois utilisés dans la langue japonaise.

nishiki-e : “estampes de brocard”. Ce terme est utilisé pour les séries d’estampes luxueuses de très haute qualité destinées à de riches amateurs. Contrairement aux impressions de livres ou autres estampes de moins bonne qualité, ces images présentaient une variété de couleurs et de nuances significatives ainsi qu’un raffinement dans les détails comme la technique de gaufrage (karazuri) ou l’utilisation de mica (à base de silice) pour donner un effet brillant. En général, les estampes que l’on trouve dans les musées occidentaux sont des nishiki-e.

Haiku décortiqué #1 : Masaoka Shiki

Entends-tu danser les feuilles mortes ?

Le choix du kigo est fondamental pour transmettre à ton lecteur le cadre dans lequel tu souhaites qu’il se balade. Un kigo se doit d’être efficace et certains mots laisseront plus de place à l’évasion imaginaire de ton lecteur.

Aujourd’hui je te propose de te pencher sur les feuilles mortes avec un poème de Masaoka Shiki. Ce kigo est riche et versatile car il évoque à lui seul différentes dimensions sensorielles : auditive, olfactive, visuelle ou encore temporelle.

Au niveau de la forme, qu’est-ce qu’on cherche?

  • 5-7-5 syllabes
  • 1 kigo
  • 1 césure

L’analyse en image :

————————–

5-7-5 syllabes

Ici on a un bel exemple de non-respect du compte des syllabes dans la traduction française. Pourquoi ? Parce que la priorité est mise sur le sens du poème.

Les traducteurs auraient pu ajouter des fioritures pour combler le nombre de syllabes, mais le haiku aurait perdu de sa force. Il est très difficile de traduire un haiku en respectant à la fois sa forme et son sens, sans en faire trop, sans expliquer tout en restant léger…

Littéralement on aurait pu mettre venues d’ailleurs en volant, car tondekuru signifie “venir en volant”.

Est-ce nécessaire ?

La réponse est non.

On cherche la légèreté ! Le travail du lecteur est justement d’imaginer le chemin de ces feuilles venues là. Par association d’idée (une feuille ne rampe pas, ne croule pas, etc.), l’image est claire sans pour autant avoir besoin de mentionner chaque détail au risque d’empâter le poème inutilement.

Le kigo

Ici on pourrait argumenter qu’il y a deux kigo : fin de l’automne (kureru aki) et les feuilles mortes (rakuyô).

Dans ce cas, le kigo principal est fin de l’automne. C’est un kigo assez large, n’est-ce pas? Donc pour préciser sa pensée et évoquer un sentiment plus clair, Shiki pointe ce qu’il veut que l’on regarde, à savoir les feuilles mortes.

La fin de l’automne voit les feuilles ayant pris des couleurs de feu et de flamme (au début de l’automne) sombrer dans les ocres et s’éteindre peu à peu. D’ailleurs, la césure joue son rôle à merveille !

Notons que le verbe kureru est intéressant car il signifie “faire sombre”. Il est par exemple utilisé pour dire “le jour tombe” (hi ga kureru) ou “l’année touche à sa fin” (toshi ga kureru). On a donc clairement cette notion de fin, mais aussi cette notion luminosité qui s’estompe, de jour qui raccourcissent, de saison qui avance vers l’hiver… Le choix des mots est fondamental !

La césure (kireji)

Ici le mot de césure en japonais est ya. Comme la plupart des mots de césure, une traduction directe en français est impossible… mais il vient mettre l’accent sur le mot qu’il précède, ici rakuyô, et lui donne une nuance émotive liée à l’admiration ou l’exclamation. En français, les traducteurs ont choisis de placer ce mot, les feuilles mortes, en première ligne, pour nous signifier son importance.

Notons qu rakuyô signifie littéralement la défoliation ou la chute des feuilles (mortes). On a déjà une dimension en plus que simplement les feuilles mortes. L’accent est mis sur la “vie” de la feuille plus que sur sa mort. Cet aspect est accentué encore par la deuxième ligne : venues d’ailleurs. Le jeu sur l’association incongrue entre les feuilles mortes et l’action de venir, qui implique un mouvement, une vie, donne toute sa force à ce haiku.

On comprends mieux pourquoi cette deuxième allusion à l’automne est en réalité utile : elle donne du mouvement, de la vie à l’ensemble.*

Si on se rappelle encore que Shiki, atteint d’une tuberculeuse osseuse, passera beaucoup de temps alité, avec pour seule distraction la vue sur son jardin, ce haiku revêt encore une autre dimension. La vue des feuilles mortes, dansant dans le vent, devient un véritable spectacle. Leur venue mystérieuse incite le poète à se demander d’où elles viennent avant de simplement se perdre dans la contemplation des couleurs et éventuellement se souvenir que la fin de l’automne est déjà là, annonçant également que la saison morte (l’hiver) n’est pas loin. Tout comme le poète se rappelle sans cesse que sa propre mort n’est probablement pas loin non plus…

Alors…

Qu’est-ce que tu en dis ? Est-ce que ce genre d’analyse poussée t’aide, te questionne, te confond en perplexité ? N’hésite pas à partager tes ressentis avec moi en commentaire de cet article.

… … …

* Quand je te donne des conseils sur l’écriture de haiku, je commence toujours par dire “évite les répétitions de kigo”… Ici je vais nuancer un peu.

Comme on l’a vu avec Shiki, si on sait ce qu’on fait et que la répétition de l’évocation de la saison fait sens et donne de la force au poème, alors il n’y a pas de problème! A l’inverse, souvent lorsque l’on débute dans l’écriture de haiku, on a tendance à décrire ce qu’on voit, un sentiment, etc. Dans ce cas là, ajouter plus d’un kigo n’est souvent pas voulu ou maladroit.

Il s’agit donc de faire un pas de plus dans la construction de ton haiku en réfléchissant à la place, au rôle de chaque mot dans ton poème. Est-ce que chaque élément est pertinent? Est-ce que les images évoquées sont claires ? Est-ce qu’il y a peut-être trop d’évocations différentes qui pourraient perdre le lecteur?

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Pour t’aider à toujours mieux comprendre comment fonctionne un haiku pour au final réussir à mettre plus de légèreté et plus d’émotions dans tes poèmes, je lance cette série “Haiku décortiqué”.

Pour plus d’astuce rejoins ma newsletter dédiée au haiku et à la littérature japonaise. Tu peux t’inscrire via le formulaire présent dans le menu d’en-tête.

(C) Le Japon avec Andrea, 2022, tous droits réservés.

L’exposition “Un souffle de poésie” c’est la semaine prochaine !

Je suis tellement heureuse de pouvoir ENFIN vous présenter cette exposition ! Vous y découvrirez entre autres :

Haiga – aquarelle
  • des Haiga (haiku illustrés) à l’encre, à l’aquarelle ou au crayon, réalisés lors des différents ateliers créatifs organisés en 2020 et 2021.
  • des Haisha (haiku sur photo), seul ou en collaboration, ces photos vous emmèneront au Japon en un souffle!
  • un Haisha collectif (réalisé en ligne entre 2020 et 2021) autour d’une photographie de Bernard Villat.
Haisha collectif
  • des Sumi-e (peinture au lavis), pour ajouter encore un peu de délicatesse à l’ensemble.
  • des photographies de Bernard Villat prises lors de son voyage au Japon en 2010 et qui pourront vous servir d’inspiration pour vos premiers haiku (livre d’or à disposition).
  • des Haiku gravés sur verre grâce à ma collaboration avec Isabelle van den Berghe, artiste de l’Espace Gaimont. Les jeux de lumières vous raviront !
Sumi-e
  • des Leporellos fais main et peints à la manière de rouleaux maki-e. Entre poèmes et dessins, la ligne est maîtresse.
  • un espace Boutique vous proposera des articles de papeterie:
    • carnets A6 parsemés de poèmes
    • des cartes postales
    • des leporellos vierges
    • des “Hai-cha”(ma dernière création!) c’est-à-dire des sachets de thé agrémentés de haiku du matin, de l’après-midi et du soir pour vivre la magie du haiku au quotidien!
Hai-cha

Rendez-vous le week-end prochain, du 08 au 10 octobre, à l’Espace Gaimont (9 ch. Gaimont, 1213 Petit-Lancy).

Vernissage : vendredi 08 octobre dès 17h.

Exposition : samedi 09 – 11h à 18h et dimanche 10 octobre – 11h à 17h

Finissage lecture & musique : dimanche 10 octobre entre 15h et 16h

Selon les directives officielles, la présentation d’un certificat Covid est nécessaire pour accéder à l’exposition. Merci de votre compréhension.