Haiku décortiqué #4 : Santôka

Pour ce nouvel “haiku décortiqué”, je t’invite à découvrir un haiku d’automne de Santôka Tenada (1882-1940), moine zen, vagabond et poète.

Petite récapitulation de ce qu’on attend d’un haiku classique:

  • la métrique 5-7-5, qui donne au haiku classique tout son sens et rend le poème réutilisable dans différentes situations (renga).
  • 1 kigo ou mot de saison qui pose un décor, provoque des images et des sensations dans l’imaginaire du lecteur
  • 1 mot de césure qui viendra donner de la profondeur au poème en suggérant une émotion plus ou moins intense.

L’analyse en image :

*haijin = poète haiku

La métrique 5-7-5

Ici la métrique 5-7-5 n’est pas respectée, mais c’est un choix délibéré et même revendiqué par l’auteur.

En effet, Santôka fait partie de cette nouvelle vague de haijin du début du 20e siècle qui voyaient la forme classique du haiku comme obsolète et figée dans un carcan de règles et d’images ayant perdu leur sens. Il prônait donc l’abandon de la métrique ainsi que l’utilisation du kigo (mot de saison) au profit d’une forme poétique complétement libre. Pour lui la poésie repose sur la “pure expérience” du poète et de sa manière unique de la retranscrire et de la partager au monde.1

Avec ce poème, j’ai envie de t’inviter à la réflexion.

Si les poètes du début du 20e siècle se sont rebellés contre les règles du haiku classique (haikai de Bashô et haiku de Shiki), comment aujourd’hui, peut-on différencier un haiku de forme libre (sans règles) d’un poème court ? En d’autres termes, est-ce qu’un poème libre reste un haiku ?

Donne-moi ton avis en commentaire ou par retour de mail.

1.COLLET Hervé, CHENG Wing fun, A la recherche de l’instant perdu, anthologie du haiku, éd. Moundarren, 1991, p.7-8.

Un kigo

Ici, même si pour Santôka le kigo n’est pas obligatoire, on trouve le kigo shigure ou “averse d’automne”. Ce terme ajoute une dimension de solitude liée à cette saison. Ce seul mot donne tout son sens à ce poème si court. On comprends ainsi l’importance du kigo qui permet de faire résonner scène et expérience dans le corps et le cœur du lecteur. Sans le lecteur, ce poème serait un peu nu.

Un mot de césure

Le mot de césure dans ce poème est ka, soit la question. Le poète (et le lecteur) se trouve dans un moment d’incertitude ou l’appel aux souvenirs et à l’imaginaire est fortement sollicité. Ainsi face au doute évoquée par cette scène, chacun se remémore le bruit de la pluie d’automne, amortie par les feuilles mortes, forte de cette odeur terreuse, en comparaison à la tempête d’été si violente et le pluie de printemps si salutaire.

Pour toi, quelle bruit fait la pluie d’automne ?

Alors ?

Et toi, quelle est ton interprétation?

Est-ce que dans tes poèmes tu arrives à suggérer ce genre de scène on es-tu encore trop dans la description?

Pour aller plus loin…

Découvre les poèmes de Santôka avec ce recueil aux éditions Moundarren : Santôka, zen, saké et haïku, 2013.

Pour t’aider avec les kigo et les mots de césure, découvre mes leporello, des outils mini format idéal pour t’accompagner dans ton écriture.

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(C) Le Japon avec Andrea, 2023, tous droits réservés.

HAIKU : matcha et rituel d’écriture

Dans cet article, j’avais envie de te partager mon petit moment d’écriture, particulièrement propice quand vient l’automne et ses premières vagues de froids.

En temps normal, j’aime aller me promener et me laisser inspirer par la nature. Exposer son corps aux éléments rends les kigo beaucoup plus concret et permet parfois de “débloquer” l’écriture.

Aujourd’hui je te partage un autre rituel d’écriture que j’aime bien, qui ne nécessite pas cette fois de chausser bottes et cache-nez.

Le rituel

  1. J’aime me fouetter un thé matcha (voir la recette ci-dessous), m’installer confortablement sous un plaid ou à la fenêtre près du radiateur et sortir mon cahier dédié au haiku.
  2. Je choisis un kigo qui me plaît, m’inspire, me questionne ou me semble propice à l’écriture à ce moment précis.
  3. Je fais une liste de mots et d’émotions que m’évoque ce kigo. J’essaye d’ouvrir mon champ lexical et de me laisser surprendre.
  4. Je laisse le ou les poèmes venir à moi, tranquillement, sans pression.
  5. Tout en finissant mon matcha, je prends le temps de me détacher du/des poèmes écrits. C’est peut-être l’occasion de lire un ou deux haiku de mon auteur préféré ou de regarder par la fenêtre les jeux colorés de l’automne.
  6. Je prends ensuite le temps de relire mon/mes haiku (ça peut être plusieurs jours plus tard, donnant lieu à un nouveau moment de thé).

Les points à vérifier:

  • la métrique 5-7-5
  • 1 seul kigo
  • 1 seule émotion
  • les répétitions (de sons, de sens,…)
  • les rimes
  • est-ce qu’il y a de la place pour ton lecteur ?

Si un ou des points ne sont pas respecter ou me posent problème, je retravaille le poème ou j’en écris un nouveau.

Ce travail d’écriture est vraiment important et me permet de mieux me connecter à ma sensibilité et aux vibrations de la saison en cours. Je me sens ancrée dans le moment présent et quand je reviens sur ces poèmes plus tard, ils me satisfont et je me sens validée dans mon écriture.

Si je ne fais pas ce travail, par la suite je suis souvent déçue par mes poèmes car je réalise après coup qu’ils sont vides de sens ou redondant et qu’ils ne transmettent pas l’émotion ou le “tableau” que j’avais envie de partager.

Tu veux un exemple ?

Premier jet

sourire fugace

les doigts du vent

à la surface de l’eau

-> pas de kigo, trop descriptif, pas d’émotion

Version après travail

sourire fugace

dansant au vent d’automne

nos ombres mêlées

-> plus d’espace et de zones d’interprétation pour le lecteur.

Si tu veux découvrir toutes les étapes de travail d’un poème à l’autre, rejoins “Haiku : la boîte à outils”. J’y ai posté une vidéo où je détaille tout le processus.

Est-ce que toi aussi tu retravailles tes haiku ou préfères-tu les laisser tels quels ? Est-ce que tu aimes relire tes anciens poèmes ? J’ai hâte de te lire.

Recette du matcha

Matériel nécessaire:

  • un bol chawan ou bol à thé. Peut être remplacé par un bol d’environ 15cm de diamètre à fond assez plat.
  • une cuillère chashaku, longue cuillère en bois qui sert à mesurer le matcha (peut être remplacé par une cuillère à café)
  • un fouet chasen, fouet en bambou spécifique à la préparation du thé matcha, ou un petit fouet de cuisine.

Ingrédients (pour un thé léger usucha)

  • 2 cuillères chashaku (env. 1 c.c) de poudre de thé matcha
  • 160 ml d’eau à 80 C°
  • un wagashi de saison (pâtisserie traditionnelle japonaise) ou un morceau de takuan (pâte de haricot rouge sucré en barre) facile à trouver dans les magasins d’alimentation japonaise. Peut être remplacé par une petite pâtisserie occidentale.

Préparation du thé

  1. Faire chauffer l’eau jusqu’à frémissement (ne pas faire bouillir l’eau).
  2. Verser 2 cuillères chashaku de poudre de thé dans le bol.
  3. Verser environ 160 ml d’eau frémissante sur le thé et fouetter délicatement avec le chasen (ou le fouet de cuisine).
  4. Manger la pâtisserie japonaise AVANT de boire le thé. La douceur du wagashi va contrebalancer l’amertume du matcha et sublimer ton expérience.

Enjoy!

(c) Le Japon avec Andrea, 2023.

La roue des kigo d’été

Bon, ok , c’est toujours pas une roue, mais l’essentiel est là!

Tu es en panne d’inspiration?

Tu n’arrives pas à choisir un kigo ?

Tu veux un peu de fun dans ta vie ?

Bam, voilà une petite joie à ajouter à ta liste aujourd’hui!

Mode d’emploi

Fais une capture d’écran (ou une photo avec ton téléphone si tu ne sais pas ce qu’est une capture d’écran…) de ma petite animation ci-dessous pour découvrir le kigo à utiliser aujourd’hui !

L’idée te plait?

Découvre ma boite à outils spécial écriture de haiku!

Le principe?

Des jeux, des défis, des explications et des exercices concrets pour réellement comprendre et intégrer les notions recherchées dans tout bon haiku qui se respecte (dixit Bashô) :

  • des kigo efficaces
  • les mots de césures
  • la recherche de la simplicité
  • la maîtrise de la suggestion (au détriment de la description)
  • la légèreté
  • l’humour
  • la confrontation de l’immuable et de l’éphémère
  • etc.

Une fois que tu t’es procuré la boite à outils, tu y auras accès indéfiniment ainsi qu’à toutes les mises à jours (et nouveautés).

Infos et inscription ici !

Haiku décortiqué #3 : Matsuo Bashô

Pour ce nouvel “haiku décortiqué”, je t’invite à découvrir un haiku d’été de Matsuo Bashô (1644-1694).

Petite récapitulation de ce qu’on attend d’un haiku classique:

  • la métrique 5-7-5, qui donne au haiku classique tout son sens et rend le poème réutilisable dans différentes situations (renga).
  • 1 kigo ou mot de saison qui pose un décor, provoque des images et des sensations dans l’imaginaire du lecteur
  • 1 mot de césure qui viendra donner de la profondeur au poème en suggérant une émotion plus ou moins intense.

L’analyse en image:

La métrique 5-7-5

Si ici le poème entier fait bien 17 syllabes, la métrique 5-7-5 est un peu bousculée en français… (en japonais elle est bien présente).”Le chant des cigales” est une ligne en 5+ (5 syllabes + 1 e muet) et la troisième ligne est de 4 syllabes.

Étant une traduction et non un de mes poèmes, j’ai choisi de privilégier le sens japonais et de ne pas ajouter un adjectif qui compléterait la métrique. Pourquoi? Parce que Bashô n’a pas préciser la nature de son silence. Est-ce que c’est un silence doux? profond? salvateur? étonnant? Mystère. En traduction, choisir d’ajouter un adjectif ou un mot risque de donner une autre intension au poème que celle initialement voulue par Bashô. Risque que je n’ai pas voulu prendre!

En japonais, une des raisons pour lesquelles la métrique 5-7-5 est tellement utilisée en littérature, est qu’elle est naturellement présente dans la langue japonaise. Des expressions et locutions courantes utilisent cette métrique et comme on le voit bien ici, shi-zu-ka-ya, pas besoin de fioriture.

En français bien sûr, c’est un peu différent. Donc si pour combler le nombre de syllabes tu choisis de mettre un adjectif, voici quelques questions à te poser :

  • Qu’est-ce que ce mot va apporter à ton poème ?
  • Est-ce que tu as déjà mis 3 autres adjectifs ?
  • Est-ce qu’il y a répétition ?
  • Est-ce que cet adjectif supporte le sens général de ton poème ou est-ce qu’il amène de la confusion ?
  • Est-il vraiment utile au niveau du sens ?
  • Comment faire pour le rendre utile ?

Un kigo

Ici le chant des cigale, élément incontournable des étés à la campagne. Il s’agit d’un kigo très efficace car si tu as déjà passé un été dans le sud ou près des champs, tu sais ce qu’il implique: chaleur, soleil, silence lourd de la sieste, bruit de fond incessant, etc. Pour chaque lecteur, l’effet sera différent. Ce qui est certain, c’est qu’une panoplie de sensations et d’émotions vont surgir du fond de chaque mémoire pour rendre ce kigo tangible et donner une dimension sonore et vivante à ce poème.

Un mot de césure

Ici le mot de césure en japonais est ya, qui donne une nuance de surprise, d’étonnement et d’admiration. Si kana marque plutôt l’emphase, ya marque la surprise suivie de l’admiration face à l’élément qui le précède, ici le calme, la tranquillité, le silence (shizukasa).

Attention, il y a autant d’interprétation que de lecteur! Par exemple, est-ce que chant des cigales est tellement présent qu’on finit par ne plus l’entendre? est-ce que le chant des cigales fait partie intégrante du “tableau” de l’été et confère à ce temps estival son rythme calme? est-ce qu’au contraire, parce que l’auteur est dans la montagne le chant des cigales est littéralement absorbé par la roche? Tout est possible.

Alors ?

Et toi, quelle est ton interprétation?

Est-ce que ce genre d’analyse poussée t’aide, te questionne, te confond en perplexité ? N’hésite pas à partager tes ressentis avec moi.

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(C) Le Japon avec Andrea, 2023, tous droits réservés.

Haiku décortiqué #2 : Fukuda Chiyo.ni

Pour continuer sur le thème des papillons, voici un magnifique haiku de Chiyo.ni, une des poétesses les plus célèbre de l’époque Edo.

Petite récapitulation de ce qu’on attend d’un haiku classique:

  • la métrique 5-7-5, qui donne au haiku classique tout son sens et rend le poème réutilisable dans différentes situations (renga).
  • 1 kigo ou mot de saison qui pose un décor, provoque des images et des sensations dans l’imaginaire du lecteur
  • 1 mot de césure qui viendra donner de la profondeur au poème en suggérant une émotion plus ou moins intense.

L’analyse en image :

La métrique 5-7-5

Dans la traduction, j’ai choisi de laissé la ligne 1 un simple, c’est-à-dire sans chercher à combler la syllabe manquante. J’aurais pu mettre “de ces papillons” par exemple, mais cela aurait changé radicalement le sens du poème et la scène suggérée au lecteur. Ici l’accent est mis sur la ligne 3 (avec la césure). Ce que Chiyo.ni nous invite à regarder ces sont les fleurs des champs qui lui rappelle les rêves des papillons. “Ces papillons” donnerait à penser qu’elle voit les papillons, l’effet serait plus centré sur les papillons, ce qui n’est pas le choix de l’auteur.

Quand on a 17 syllabes pour charmer son lecteur, chaque mot a une importance cruciale. Ici il s’agit d’une traduction donc le travail est un peu différent, mais quand tu écris un poème essaye vraiment de trouver les mots justes. Si tu veux rajouter un adjectif pour combler le nombre syllabes par exemple, demande-toi toujours qu’est-ce que ce mot apporte? qu’est-ce que cet adjectif va provoquer comme images chez ton lecteur? est-ce qu’il vient renforcer l’émotion principale de ton poème ou est-ce qu’il va juste détourner l’attention de ton lecteur?

Un kigo

Ici le kigo est clairement les papillons. Voici la définition de ce kigo par Seegan Mabesoone sur son site proposant un éphéméride à l’usage des poètes :

Au printemps, les premiers papillons naissent de leur chrysalide, et sont encore visibles tout l’été et une partie de l’automne. Si les papillons ressemblent aux fleurs, c’est certainement parce que le seul but de leur vie est de butiner, librement. Quand on ne précise pas la saison, il suffit de dire “papillon” pour évoquer le printemps.

Seegan Mabesoone, http://www.osk.3web.ne.jp/logos/saijiki/saijikifp.html, n°100.

Les fleurs des champs ici viennent rehausser le kigo par un jeu d’échos. Les papillons légers et colorés du printemps et les fleurs colorées parsemant les champs, tous vouées à une fin précoce, symboles de l’éphémère.

Un mot de césure (kireji)

Il vaut mieux penser mot de césure que “la césure” car ce terme peut prêter à confusion avec son utilisation en littéraire française. Dans le haiku, le mot de césure sert à donner de l’émotion, sert à faire réagir le lecteur et l’invite à faire des liens avec sa propre expérience.

Ici le mot de césure est kana*. Il suggère l’admiration et invite le lecteur à savourer le(s) mot(s)que le précède(nt). Dans ce poème, tu es donc invité.e à “vivre” le champs de fleurs, à voir les coquelicots et les bleuets, à sentir les doux parfums venir à toi au gré du vent, etc. Cette profondeur émotionnelle est sublimée par la légère surprise du lien fait entre les papillons et les fleurs tout comme la vague d’émotion provoquée par ce spectacle des champs colorés.

*En japonais moderne, kana marque l’incertitude, ce n’est pas le cas en japonais classique.

Alors ?

Qu’est-ce que tu en dis ? Est-ce que ce genre d’analyse poussée t’aide, te questionne, te confond en perplexité ? N’hésite pas à partager tes ressentis avec moi.

(c) av, Sakura et papillon I, 2023.

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(C) Le Japon avec Andrea, 2023, tous droits réservés.

Le livre du mois – février 2023

Hanafuda, le jeu des fleurs

Véronique BRINDEAU

Il existe au Japon un jeu de cartes très populaire, né au XVIe siècle, appelé hanafuda. Un jeu où il n’y a ni roi ni reine, mais des iris, des cerisiers et des saules ; et aussi des poèmes et des légendes, comme un herbier merveilleux de fleurs et de plantes révélant tout un réseau de paysages et de références littéraires.*

Février est un paysage en blanc et noir, comme une onde de neige dans les traits calligraphiés des branches de prunier. […] Les poètes l’associent à la neige, à l’aube naissante, au teint poudré d’une jeune fille […]. Fleur des calligraphes et des poètes, tous épris d’encre de Chine et de neige, le prunier sait aussi annoncer, comme le rossignol uguisu, auquel il est associé dans de nombreux poèmes, les couleurs vives du printemps proche.**

Un voyage à travers les fleurs et leur signification au Japon, de-ci de-là ponctué de poèmes.

Si le jeu en lui-même semble difficile d’accès car nous manquons de références, tu apprécieras sûrement les images délicates et surtout les explications détaillées des différents thèmes pour qu’un jour, pourquoi pas, le hanafuda fasse partie de tes jeux lors de dimanches pluvieux !

Dans un autre registre, cet ouvrage peut aussi venir alimenter ton herbier imaginaire et symbolique qui viendra enrichir tes haiku…

Au plaisir de lire tes commentaires!

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*BRINDEAU Véronique, “Hanafuda, le jeu des fleurs”, quatrième de couverture, extrait, éditions Philippe Picquier, 2014.

**Ibid, p.25-29.

Si tu ne respectes pas le 5-7-5, tu n’écris pas un haiku. Pum.

Oui, je sais. Ça fait mal. Et tu veux pas le savoir.

Mais la réalité c’est qu’un haiku dans sa forme classique (celle à laquelle tout le monde pense quand tu dis “haiku”), c’est une métrique 5-7-5, c’est un kigo, c’est un mot de césure. POINT.

Pour t’aider à comprendre le principe, pose-toi la question de savoir si un alexandrin qui fait 14 syllabes, c’est toujours un alexandrin? Parce que pour un haiku c’est pareil. Attention, si tu ne respectes pas la métrique…

ça ne dénigre aucunement tes poèmes, ta créativité, ton écriture ou ton statut d’écrivain et poète.

C’est juste que tu n’écris pas un haiku, et c’est pas grave.

Maintenant que le sparadrap est enlevé, je vais nuancer et te réconcilier avec l’idée d’écrire un poème court qui n’est pas forcément un haiku ou écrire un haiku qui n’est pas “classique”. Let’s go!

Pourquoi 5-7-5 d’abord?

Il existe deux raisons fondamentales pour lesquelles la métriques 5-7-5 est attachée à la forme du haiku : l’héritage historique et la raison même de l’écriture de haikai (ancêtre du haiku).

Premièrement, l’héritage poétique. Cette métrique basée sur un enchaînement de pentasyllabes et d’heptasyllabes est un héritage de la poésie classique japonaise. En réalité, toutes les formes poétiques japonaises utilisent principalement ces deux mètres de 5 et 7 syllabes.1 La forme la plus connue reste le tanka, soit 31 syllabes selon la métrique 5-7-5/7-7.

Deuxièmement, le haikai-renga et son importance dans l’évolution de la forme du haikai.

Là je te propose un petit récapitulatif de l’histoire du haiku afin de comprendre tous les termes (haikai, hokku, haikai-hokku, haikai-renga, tanka, …) :

Voici trois exemples de poèmes cités plus haut:

  1. le tanka : 5-7-5/7-7 + kigo, époque Heian (794-1185), Man.yoshû, Kokinshû.
  2. le haikai : 5-7-5 + kigo + mot de césure, époque Edo (1603-1868), Bashô, Buson, Issa.
  3. le haiku : 5-7-5 + kigo + mot de césure, époque Meiji (1868-1912), Masaoka Shiki, Natsume Sôseki.

Le haikai-renga était la principale raison d’être de la forme du haikai écrit par Bashô, Buson ou Issa à l’époque Edo (1603-1868). C’est l’ancêtre du haiku (nouvelle définition proposée par Masaoka Shiki à l’ère Meiji (1868-1912)). Un haikai c’est 5-7-5, un kigo et un mot de césure, mais à la différence du haiku de Shiki (écrit par un poète solitaire, selon l’image occidentale de la figure du poète, qui écrit seul pour lui-même), le haikai était un poème destiné à faire partie d’un tout, était destiné à être utilisé lors de réunion de poètes : c’est ce qu’on appelle un renga.

A l’origine du haikai-renga on a le renga (époque Heian). C’est quand plusieurs poètes se rencontrent (de 2 à 100 selon les occasions…) et composent des poèmes tanka (5-7-5/77) enchaînés. Voilà ce que ça donne:

  • premier poète (souvent l’invité d’honneur ou l’hôte de la réunion) compose un tanka 5-7-5 /7-7
  • 2e poète: reprend le 7-7 du premier poète et enchaîne avec un 5-7-5
  • 3e poète reprend le 5-7-5 du 2e poète et enchaîne avec un 7-7
  • la chaîne continue jusqu’à ce/5-7-5 (2e poète), 5-7-5(reprise 2e poète)+7-7, etc.

Le haikai-renga c’est pareil mais avec des haikai, c’est à dire des hokku “comiques”. Dans certaines anthologie de Bashô tu peux retrouver des extraits de ces rencontres de poètes.

J’en parlerai de manière plus approfondie dans mon prochain article de blog dédié au haikai-renga.

Donc l’intérêt d’avoir une forme fixe 5-7-5, c’était de pouvoir composer les poèmes tranquillement dans son coin de jardin et se confectionner une anthologie personnelle de choix, afin de pouvoir dégainer ses poèmes au bon moment lors d’une de ces réunions.

La forme fixe rend les poèmes interchangeables tout en garantissant la cohérence de l’ensemble. La forme fixe est donc fondamentale !

La vraie différence entre la haikai et la haiku

Si le haikai était écrit dans le but de l’intégrer à un renga, sa forme fixe avait un sens et une utilité. Avec le haiku, forme apparue à l’époque Meiji (1868-1912), c’est un peu différent. Je me m’explique.

Masaoaka Shiki redécouvre les poèmes de Buson et tombe en amour devant cette si belle simplicité et cette expression de l’univers en si peu de mots. Il développe donc le haiku (contraction de haikai-hokku), mais si la forme ne change pas (5-7-5, kigo, césure) l’essence même du poème change profondément.2

Suivant l’exemple occidental, la conception de la figure du poète elle-même évolue. Ainsi un poète écrit pour lui-même : il écrit ses pensées, sa vison du monde. Il écrit seul et pour lui-même.3

C’est à partir de là que les poètes de la Nouvelle Tendance, regroupés autour de la revue Soun (Stratus) et du poète Ogiwara Seisensui (1884-1976), commencent à s’insurger contre les règles établies du haiku, trop strictes à leur goût, qui entravent la créativité et le liberté du poète.4 Les raisons mêmes qui définissaient l’utilité de ces contraintes n’étant plus de mise, pourquoi se limiter avec un nombre fixe de syllabes ou un kigo devenu image figée aux références obsolètes et vide de sens?

Des auteurs comme Hôsai Ozaki (1885-1926) et Santoka Taneda (1882-1940) ont choisi cette nouvelle voie pour écrire des “haiku libres”. Se pose alors la question de la différence entre un haiku libre et un poème court? Parce que si plus rien ne définit le haiku libre comme un haiku, est-ce que c’est encore un haiku?

Qu’est-ce que tu en penses?

Et maintenant ?

Tu as maintenant deux solutions pour toi qui écrit des haiku sans (toujours) respecter la métrique 5-7-5.

  1. tu écris des poèmes courts et en fait tu t’en fiche de l’appellation, de la “case” dans laquelle on veut te mettre, mais au moins maintenant tu sais où tu en es.
  2. tu écris des haiku selon Hôsai et Santoka, ou la liberté d’expression et l’émotion du poète sont plus forts que les carcans de la règle classique. Tu écris tout simplement des haiku libres selon le courant de la Nouvelle Tendance.

Ce que j’essaye de te faire comprendre ici, c’est que tu as le choix, mais qu’il est intéressant de comprendre ce que l’on fait. J’ai vraiment tiqué quand j’ai réalisé que NATURELLEMENT un alexandrin de 14 syllabes n’est PAS un alexandrin (et va dire à un Français que tu t’en fiches du nombre de syllabes et que pour toi un alexandrin peut avoir 9, 13 ou 17 syllabes… pum, pum). Alors pourquoi on se permet de nier la forme inhérente du haiku? Parce qu’on ne sait pas d’où ces règles viennent, ni comment les utiliser vraiment.

Avec cet article, je souhaite t’inviter à te positionner, à faire un choix et à écrire un peu plus en conscience.

Un temps pour tout

Pour finir, il s’agit de nuancer (encore). Si tu es complétement débutant et que le seul fait d’écrire est une montagne pour toi, évidemment que tu ne doit pas te focaliser sur la difficulté de la métrique. A l’inverse, si tu écris des haiku depuis 10 ans et que tu ne respectes pas la métrique ou que tu mets 3 kigo dans un seul poème, je dirais que c’est le moment de sortir de ta zone de confort!

Il y a un temps pour tout. A toi de savoir où est-ce que tu te situe sur ton chemin d’écriture.

Voici ma vision de l’apprentissage de l’écriture de haiku comme je l’ai expérimentée moi-même, et comme je l’enseigne dans mes ateliers et formations:

  1. ECRIRE. Sans compter, sans trop de contraintes, juste écris, prends le temps, fais-toi plaisir, prends y goût!
  2. SE POSER DES QUESTIONS. Pourquoi c’est important d’avoir un kigo? à quoi il sert? et pourquoi on veut mettre une césure, d’ailleurs ça veut dire quoi “mot de césure”? et le nombre de syllabes, est-ce que c’est vraiment important? qu’est-ce qu’un bon haiku au final? Commence à te poser des questions et cherche les réponses pour t’aider à voir où tu veux allez dans ton écriture.
  3. AJOUTER DES CONTRAINTES. Te confronter aux différentes contraintes pour t’aider à grandir, à t’améliorer, à faire des choix aussi. La contrainte mène toujours à la créativité si elle est prise comme un jeu.
  4. ECRIRE DE BONS HAIKU! Tadaaaam. Ben oui, l’idée c’est que pour écrire de bons haiku il faut commencer quelques part, se poser des questions, choisir la direction ou tu veux aller et défendre ton point de vue d’auteur et de créateur.

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Notes

  1. ORIGAS Jean-Jacques, Dictionnaire de littérature japonaise, Puf, 2000, p.333.
  2. Ibid, p.169.
  3. Ibid, p. 61.
  4. CHENG Win fun, COLLET Hervé, Hosai, sous le ciel immense sans chapeau, Moundarren, 2007, p.3-4.

Mon année poétique 2022

C’est l’heure du bilan… poétique!

En cette période festive je t’offre un ebook pour prendre le temps de revenir sur ton écriture et tes mots 2022.

  • Quelles ont été tes inspirations?
  • Quels sont les kigo qui t’ont émerveillé?
  • Quels sont tes défis pour 2023 dans le domaine du haiku?

Bref, voici mes réponses.

Peut-être qu’elles vont t’inspirer? N’hésite pas à me partager tes réponses par mail ou en commentaire.

Tu peux aussi utiliser les templates de story insta pour partager tes favoris 2022… n’oublie pas de me taguer @lejaponavecandrea.

Mes 6 haiku préférés écrits en 2022

Mes kigo préférés

Mes inspirations en 2022

Pour moi 2022 c’est…

Mes défis haiku en 2023

Rendez-vous en janvier pour de nouvelles aventures poétiques!

…..

Si tu souhaites recevoir le ebook cadeau, inscris-toi à la newsletter bimensuelle “Haiku & littérature japonaise. Le lien pour accéder au cadeau est dans la 2e newsletter de décembre (sortie le 24 décembre 2022).

Haiku : ma sélection de livres

Voici une petite vidéo décontractée en cette fin d’année pour te partager mes go to dès qu’il s’agit de livres autour du haiku.

Si tu me suis depuis un moment, certains ouvrages ne te surprendront pas… pour les autres c’est cadeau!

Je précise que dans le domaine des livres sur le thème du haiku il y en a pour tous les goûts et ici je te partage mes coups de cœur ainsi que les atouts et les inconvénients de chaque édition à mon sens.

Personnellement, je suis assez critique car j’écris des haiku, donc au-delà du plaisir de la lecture ce sont aussi des outils de travail. Dans la même idée, j’aime la langue japonaise (que je parle) donc pouvoir lire les haiku grâce à une transcription sans avoir besoin de chercher les kanji non simplifiés ou calligraphiés est un plus…

Bref, selon tes goûts et tes besoins, tu sauras trouver les ouvrages qui résonnent en toi… ou pas.

Si tu as déjà une bibliothèque personnelle full de livre sur le haiku, n’hésite pas à partager en commentaire ta liste de favoris. Et si tu est novice, vas te perdre dans les rayons de la bibliothèque côté littérature japonaise ou poésie ou encore dans ta librairie préférée et fais ta propre sélection!

J’ai hâte de découvrir tes goûts en matière d’édition poétique \\ (^ – ^) //

Bibliographie complète (par ordre d’apparition) :

  • CHENG Win fun & COLLET Hervé (trad. du japonais par), On se les gèle! haikus d’hiver, éditions Moundarren, 1990.
  • CHENG Win fun & COLLET Hervé (trad. du japonais par), Ah! le printemps, le printemps ah!, ah! le printemps, haikus de printemps, éditions Moundarren, 1991.
  • KERVERN Alain, Grand Almanach Poésie Japonais, éditions Folle Avoine, 1992. 5 volumes:
    • Livre I, Matin de neige, le Nouvel An
    • Livre II, Le réveil de la loutre, le printemps
    • Livre III, La tisserande et le bouvier, l’été
    • Livre IV, A l’ouest blanchit la lune, l’automne
    • Livre V, Le vent du nord, l’hiver
  • CHIPOT Dominique, KEMMOKU Makoto (trad. et prés. par), L’intégrale des haïkus: Bashô, seigneur ermite, éd. Points, 2014.
  • CHIPOT Dominique, KEMMOKU Makoto (trad. et prés. par), Anthologie, du rouge aux lèvres, Haijin japonaises, éd. La Table ronde, 2008.
  • MABESOONE Seegan (choisis, présentés et traduits par), IKEDA Mitsuru (haiga), Kobayashi Issa, Haïkus satiriques, éditions Pippa, 2015.
  • TREVISAN Elisabetta (sélection des textes et choix iconographique), Haiku: Les paysages de Hokusai, éditions du Seuil, 2017.
  • TREVISAN Elisabetta (sélection des textes et choix iconographique), Haiku: Pensées de femmes, éditions du Seuil, 2018.

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Quiz Haiku #1

Pour s’amuser un peu est varier mes publications instagram sur le thème du haiku, je t’ai proposé un petit quiz.

Voici un de mes haiku, à toi de choisir qu’elle 3e ligne est la plus appropriée?
….
sous la bouillotte
je compte mes cheveux blancs


A. et le temps file…
B. dans un bâillement
C. poussière de vie

….

Quelle réponse as-tu choisie ?

Voici mon retour en vidéo (7 minutes).

Bisous