Si tu ne respectes pas le 5-7-5, tu n’écris pas un haiku. Pum.

Oui, je sais. Ça fait mal. Et tu veux pas le savoir.

Mais la réalité c’est qu’un haiku dans sa forme classique (celle à laquelle tout le monde pense quand tu dis “haiku”), c’est une métrique 5-7-5, c’est un kigo, c’est un mot de césure. POINT.

Pour t’aider à comprendre le principe, pose-toi la question de savoir si un alexandrin qui fait 14 syllabes, c’est toujours un alexandrin? Parce que pour un haiku c’est pareil. Attention, si tu ne respectes pas la métrique…

ça ne dénigre aucunement tes poèmes, ta créativité, ton écriture ou ton statut d’écrivain et poète.

C’est juste que tu n’écris pas un haiku, et c’est pas grave.

Maintenant que le sparadrap est enlevé, je vais nuancer et te réconcilier avec l’idée d’écrire un poème court qui n’est pas forcément un haiku ou écrire un haiku qui n’est pas “classique”. Let’s go!

Pourquoi 5-7-5 d’abord?

Il existe deux raisons fondamentales pour lesquelles la métriques 5-7-5 est attachée à la forme du haiku : l’héritage historique et la raison même de l’écriture de haikai (ancêtre du haiku).

Premièrement, l’héritage poétique. Cette métrique basée sur un enchaînement de pentasyllabes et d’heptasyllabes est un héritage de la poésie classique japonaise. En réalité, toutes les formes poétiques japonaises utilisent principalement ces deux mètres de 5 et 7 syllabes.1 La forme la plus connue reste le tanka, soit 31 syllabes selon la métrique 5-7-5/7-7.

Deuxièmement, le haikai-renga et son importance dans l’évolution de la forme du haikai.

Là je te propose un petit récapitulatif de l’histoire du haiku afin de comprendre tous les termes (haikai, hokku, haikai-hokku, haikai-renga, tanka, …) :

Voici trois exemples de poèmes cités plus haut:

  1. le tanka : 5-7-5/7-7 + kigo, époque Heian (794-1185), Man.yoshû, Kokinshû.
  2. le haikai : 5-7-5 + kigo + mot de césure, époque Edo (1603-1868), Bashô, Buson, Issa.
  3. le haiku : 5-7-5 + kigo + mot de césure, époque Meiji (1868-1912), Masaoka Shiki, Natsume Sôseki.

Le haikai-renga était la principale raison d’être de la forme du haikai écrit par Bashô, Buson ou Issa à l’époque Edo (1603-1868). C’est l’ancêtre du haiku (nouvelle définition proposée par Masaoka Shiki à l’ère Meiji (1868-1912)). Un haikai c’est 5-7-5, un kigo et un mot de césure, mais à la différence du haiku de Shiki (écrit par un poète solitaire, selon l’image occidentale de la figure du poète, qui écrit seul pour lui-même), le haikai était un poème destiné à faire partie d’un tout, était destiné à être utilisé lors de réunion de poètes : c’est ce qu’on appelle un renga.

A l’origine du haikai-renga on a le renga (époque Heian). C’est quand plusieurs poètes se rencontrent (de 2 à 100 selon les occasions…) et composent des poèmes tanka (5-7-5/77) enchaînés. Voilà ce que ça donne:

  • premier poète (souvent l’invité d’honneur ou l’hôte de la réunion) compose un tanka 5-7-5 /7-7
  • 2e poète: reprend le 7-7 du premier poète et enchaîne avec un 5-7-5
  • 3e poète reprend le 5-7-5 du 2e poète et enchaîne avec un 7-7
  • la chaîne continue jusqu’à ce/5-7-5 (2e poète), 5-7-5(reprise 2e poète)+7-7, etc.

Le haikai-renga c’est pareil mais avec des haikai, c’est à dire des hokku “comiques”. Dans certaines anthologie de Bashô tu peux retrouver des extraits de ces rencontres de poètes.

J’en parlerai de manière plus approfondie dans mon prochain article de blog dédié au haikai-renga.

Donc l’intérêt d’avoir une forme fixe 5-7-5, c’était de pouvoir composer les poèmes tranquillement dans son coin de jardin et se confectionner une anthologie personnelle de choix, afin de pouvoir dégainer ses poèmes au bon moment lors d’une de ces réunions.

La forme fixe rend les poèmes interchangeables tout en garantissant la cohérence de l’ensemble. La forme fixe est donc fondamentale !

La vraie différence entre la haikai et la haiku

Si le haikai était écrit dans le but de l’intégrer à un renga, sa forme fixe avait un sens et une utilité. Avec le haiku, forme apparue à l’époque Meiji (1868-1912), c’est un peu différent. Je me m’explique.

Masaoaka Shiki redécouvre les poèmes de Buson et tombe en amour devant cette si belle simplicité et cette expression de l’univers en si peu de mots. Il développe donc le haiku (contraction de haikai-hokku), mais si la forme ne change pas (5-7-5, kigo, césure) l’essence même du poème change profondément.2

Suivant l’exemple occidental, la conception de la figure du poète elle-même évolue. Ainsi un poète écrit pour lui-même : il écrit ses pensées, sa vison du monde. Il écrit seul et pour lui-même.3

C’est à partir de là que les poètes de la Nouvelle Tendance, regroupés autour de la revue Soun (Stratus) et du poète Ogiwara Seisensui (1884-1976), commencent à s’insurger contre les règles établies du haiku, trop strictes à leur goût, qui entravent la créativité et le liberté du poète.4 Les raisons mêmes qui définissaient l’utilité de ces contraintes n’étant plus de mise, pourquoi se limiter avec un nombre fixe de syllabes ou un kigo devenu image figée aux références obsolètes et vide de sens?

Des auteurs comme Hôsai Ozaki (1885-1926) et Santoka Taneda (1882-1940) ont choisi cette nouvelle voie pour écrire des “haiku libres”. Se pose alors la question de la différence entre un haiku libre et un poème court? Parce que si plus rien ne définit le haiku libre comme un haiku, est-ce que c’est encore un haiku?

Qu’est-ce que tu en penses?

Et maintenant ?

Tu as maintenant deux solutions pour toi qui écrit des haiku sans (toujours) respecter la métrique 5-7-5.

  1. tu écris des poèmes courts et en fait tu t’en fiche de l’appellation, de la “case” dans laquelle on veut te mettre, mais au moins maintenant tu sais où tu en es.
  2. tu écris des haiku selon Hôsai et Santoka, ou la liberté d’expression et l’émotion du poète sont plus forts que les carcans de la règle classique. Tu écris tout simplement des haiku libres selon le courant de la Nouvelle Tendance.

Ce que j’essaye de te faire comprendre ici, c’est que tu as le choix, mais qu’il est intéressant de comprendre ce que l’on fait. J’ai vraiment tiqué quand j’ai réalisé que NATURELLEMENT un alexandrin de 14 syllabes n’est PAS un alexandrin (et va dire à un Français que tu t’en fiches du nombre de syllabes et que pour toi un alexandrin peut avoir 9, 13 ou 17 syllabes… pum, pum). Alors pourquoi on se permet de nier la forme inhérente du haiku? Parce qu’on ne sait pas d’où ces règles viennent, ni comment les utiliser vraiment.

Avec cet article, je souhaite t’inviter à te positionner, à faire un choix et à écrire un peu plus en conscience.

Un temps pour tout

Pour finir, il s’agit de nuancer (encore). Si tu es complétement débutant et que le seul fait d’écrire est une montagne pour toi, évidemment que tu ne doit pas te focaliser sur la difficulté de la métrique. A l’inverse, si tu écris des haiku depuis 10 ans et que tu ne respectes pas la métrique ou que tu mets 3 kigo dans un seul poème, je dirais que c’est le moment de sortir de ta zone de confort!

Il y a un temps pour tout. A toi de savoir où est-ce que tu te situe sur ton chemin d’écriture.

Voici ma vision de l’apprentissage de l’écriture de haiku comme je l’ai expérimentée moi-même, et comme je l’enseigne dans mes ateliers et formations:

  1. ECRIRE. Sans compter, sans trop de contraintes, juste écris, prends le temps, fais-toi plaisir, prends y goût!
  2. SE POSER DES QUESTIONS. Pourquoi c’est important d’avoir un kigo? à quoi il sert? et pourquoi on veut mettre une césure, d’ailleurs ça veut dire quoi “mot de césure”? et le nombre de syllabes, est-ce que c’est vraiment important? qu’est-ce qu’un bon haiku au final? Commence à te poser des questions et cherche les réponses pour t’aider à voir où tu veux allez dans ton écriture.
  3. AJOUTER DES CONTRAINTES. Te confronter aux différentes contraintes pour t’aider à grandir, à t’améliorer, à faire des choix aussi. La contrainte mène toujours à la créativité si elle est prise comme un jeu.
  4. ECRIRE DE BONS HAIKU! Tadaaaam. Ben oui, l’idée c’est que pour écrire de bons haiku il faut commencer quelques part, se poser des questions, choisir la direction ou tu veux aller et défendre ton point de vue d’auteur et de créateur.

……………………………………

Notes

  1. ORIGAS Jean-Jacques, Dictionnaire de littérature japonaise, Puf, 2000, p.333.
  2. Ibid, p.169.
  3. Ibid, p. 61.
  4. CHENG Win fun, COLLET Hervé, Hosai, sous le ciel immense sans chapeau, Moundarren, 2007, p.3-4.