Le Livre de Mois – Novembre 2023

La mort, l’amour et les vagues

Yasushi Inoue

“Ah, ce coin a l’air parfait!” pensa Sugi en arrêtant son regard sur un endroit, tout à fait à gauche de la grande falaise. Il y avait là des pins au-dessus desquels voletaient quatre ou cinq petits oiseaux de mer dont il ne connaissait pas le nom. Brusquement, ils repliaient leurs ailes et le laissaient tomber en ligne droite une dizaine de fois. Comme ils piquaient en plein sur les rochers, on pouvait croire qu’ils allaient s’y fracasser, mais ils faisaient volte-face, remontaient en décrivant un arc de cercle, puis plongeaient en vrille un peu au large de la bande d’écume.

“Vraiment idéal!” pensa Sugi. C’était la première fois qu’il se réjouissait d’avoir trouvé un endroit convenable pour se donner la mort; soulagé, il se mit à fumer.

Juste incroyable! Tout l’art de Yasushi INOUE dans ces trois nouvelles toutes aussi surprenantes les unes que les autres. Trois histoires d’amour un peu étranges, un peu à côté, un peu pas comme on les imagine dans les romans… Tu seras à la fois charmé.e, intrigué.e, et bien sûr surpris.e par la chute de chacune de ces histoires où la vie aura finalement toujours le dernier mot.

Au plaisir de lire tes commentaires!

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INOUE Yasushi, La mort, l’amour et les vagues, éd. Philippe Picquier, p. 11.

Le livre du mois- juillet 2023

Le Rêve de Ryûsuke

Durian Sukegawa

Quel âge avait-il à l’époque? Quand sa mère lui avait montré une photo de l’île où s’était installé, seul, ce Sôichi Hashida dont elle lui parlait tant. Elle lui avait expliqué qu’il allait consacré sa vie à confectionner du fromage sur cette terre perdue au milieu de l’océan.

Même aux oreilles de l’enfant qu’était Ryôsuke, la voix de sa mère avait pris une intonation particulière.

Ce à quoi avait échoué son époux, cet ami intime s’y réessayait, loin d’ici. Lorsqu’elle l’avait expliqué à son fils, c’était la femme en elle qui parlait.

Sôichi, il garde toujours espoir.*

Un récit tout en délicatesse abordant des sujets forts comme le mal-être, la difficulté de trouver sa place dans une société où la quête du succès l’emporte sur tout le reste et les sacrifices qui jonchent le chemin menant à la réalisation de nos rêves. La description des paysages insulaires changeants et les caractères attachants des protagonistes font de ce livre un incontournable de mes lectures d’été.

Au plaisir de lire tes commentaires!

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*SUKEGAWA Durian, Le Rêve de Ryôsuke, éd. Le livre de poche, 2018, p.95.

Le livre du mois- juin 2023

Japon, L’archipel aux 72 saisons

Zoé Jégu

La division de l’année en 24 saisons est relativement répandue auprès du grand public. A la télévision, les bulletins météo y font régulièrement allusion et certaines marques n’hésitent pas à en faire un argument marketing.

Les 72 micro-saisons, en revanche, ne sont connues que par les personnes qui s’intéressent de près à l’ancien calendrier. C’est notamment le cas des haïkistes qu choisissent avec précaution les expressions saisonnières (kigo 季語) pour leurs poèmes.*

Shôman (小満) : La petite abondance, à partir du 21 mai

La vie sous toutes ses formes commence à foisonner : la végétation devient luxuriante, les insectes volettent dans les airs, les fleurs s’épanouissent, les fruits mûrissent… Toute la création est parcourue d’une énergie de croissance et de vitalité. […] **

Si tu aimes écrire des haiku ou en lire ou simplement suivre les changements de saison dans leur microcosme, ce livre est fait pour toi ! Simple, clair, avec des explications fouillées et de magnifiques illustrations, ce livre est à feuilleter au fil des saisons ou à étudier consciencieusement. Entre fêtes traditionnelles, coutumes populaires et activités humaines, prépare-toi à un véritable voyage au Japon sans bouger de ton canapé.

Au plaisir de lire tes commentaires!

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*JEGU Zoé, Japon, L’archipel aux 72 saisons, éd. Sully, 2023, p.15.

** Ibid, p.60.

Le livre du mois- avril 2023

Izumi Shikibu, poèmes de cour

YOSANO Fumi

つれづれと物思ひをれば春の日のめに立つ物は霞なりけり

tsuredzure to mono omohi woreba haru no hi nomeni tatsumono ha kasumi narikeri

Comme je passais mon temps en songeries

ce qui se présenta à mes yeux en cette journée

de printemps fut la brume *

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螢火は木の下草も暗からず五月の闇は名のみなりけり

keika ha ki no shitakusa mo kurakarazu gogatsu no yami ha na no minarikeri

Sous les feux des lucioles,

les sous-bois ne sont pas sombres

Les ténèbres de mai ne le sont que de nom. *

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朝風にけふおどるきて數ふれば一夜のほどに秋は来にけり

asakaze ni kefu odorukite sufureba ichiya no hodoni aki ha kinikeri

Surprise aujourd’hui par le vent du matin

je compte les jours

En une nuit, l’automne est arrivé *

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寝る人をおこすともなき埋み火を見つつはかなく明かす夜な夜な

neru hito wo okosu tomonaki uzumibi wo mitsutsu hakanaku akasu yonayona

Ces nuits et ces nuits

à attendre tristement l’aube

en regardant le feu enfoui sous la braise

sans réveiller celui qui dort *

Est-ce que tu connais la forme du tanka? Il s’agit de la forme poétique japonaise classique et est composé de 31 syllabes (5-7-5 / 7-7). Et oui, le 5-7-5 que l’on appelle hokku va amener à la forme du haikai (époque Edo 1603-1868) d’abord puis du haiku (ère Meiji 1868-1912) ensuite.

Dans ces tanka d’Izumi Shikibu, poétesse de cour à l’époque Heian (794-1185) on ressent une atmosphère teintée de nostalgie, d’attente, mais aussi une sourde tristesse qui nous entraînent dans un tourbillon d’émotions bien loin des jeux cocasses d’Issa ou du réalisme de Bashô.

Ici chaque expression fait référence à des images codées et définies à travers le temps et le langue poétique pour arriver à l’essence des sentiments humains dans leur subtil écho à la nature. Bonne découverte!

Au plaisir de lire tes commentaires!

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*YOSANO Fumi (traduit et présenté par), “Izumi Shikibu, poèmes de cour”, édition Orphée / La Différence, 1991.

Référence des poèmes cités :

  1. p.27
  2. p.29
  3. p.40
  4. p.41

Le livre du mois – février 2023

Hanafuda, le jeu des fleurs

Véronique BRINDEAU

Il existe au Japon un jeu de cartes très populaire, né au XVIe siècle, appelé hanafuda. Un jeu où il n’y a ni roi ni reine, mais des iris, des cerisiers et des saules ; et aussi des poèmes et des légendes, comme un herbier merveilleux de fleurs et de plantes révélant tout un réseau de paysages et de références littéraires.*

Février est un paysage en blanc et noir, comme une onde de neige dans les traits calligraphiés des branches de prunier. […] Les poètes l’associent à la neige, à l’aube naissante, au teint poudré d’une jeune fille […]. Fleur des calligraphes et des poètes, tous épris d’encre de Chine et de neige, le prunier sait aussi annoncer, comme le rossignol uguisu, auquel il est associé dans de nombreux poèmes, les couleurs vives du printemps proche.**

Un voyage à travers les fleurs et leur signification au Japon, de-ci de-là ponctué de poèmes.

Si le jeu en lui-même semble difficile d’accès car nous manquons de références, tu apprécieras sûrement les images délicates et surtout les explications détaillées des différents thèmes pour qu’un jour, pourquoi pas, le hanafuda fasse partie de tes jeux lors de dimanches pluvieux !

Dans un autre registre, cet ouvrage peut aussi venir alimenter ton herbier imaginaire et symbolique qui viendra enrichir tes haiku…

Au plaisir de lire tes commentaires!

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*BRINDEAU Véronique, “Hanafuda, le jeu des fleurs”, quatrième de couverture, extrait, éditions Philippe Picquier, 2014.

**Ibid, p.25-29.

Le livre du mois – décembre 2022

Première neige sur le mont Fuji

KAWABATA Yasunari

S’il avait passé ainsi une première nuit avec une inconnue, la matinée aurait été désagréable. Il n’aurait pu ressentir cette affection qui le liait à Utako.

Pourtant, il ne pouvait lui en parler.

-Quand on s’est séparé, il y a longtemps, j’ai désespéré en pensant que la rupture était définitive, mais il est resté entre nous quelques chose d’important. D’important, et qu’il nous faut conserver précieusement.

– Tu parles comme une énigme.

-A résoudre?… ou pas?…, fit Utako en hochant la tête, comme s’interrogeant elle-même,

-Un couple autrefois séparé qui se retrouve: c’est une grande chance que cela ne se termine pas en déferlement de haine, tu ne crois pas?

-Tu as raison.

C’est par un bus qui partait peu après quatorze heures qu’ils descendirent vers Odawara. Et c’est depuis la fenêtre du train qui les reconduisait à Tokyo, en sens inverse de la veille, qu’ils contemplèrent la Fuji sous sa première neige.*

Une douces série de nouvelles mettant à l’honneur les relations humaines et l’introspection sur sa propre vie. En couple, en famille ou encore au seuil de la mort, chaque personnage revisite des tranches de passé parfois douloureux, mettant en avant l’ambivalence de la Vie : rien n’est tout blanc ou tout noir.

Nos choix se répercutent à travers le temps pour donner saveurs et couleurs à chaque épisode qui vient former l’ensemble d’une vie. A nous de définir la couleur de notre avenir!

Au plaisir de lire tes commentaires!

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* KAWABATA Yasunari, “Première neige sur le mont Fuji,”, éd. Albin Michel, collection Le livre de Poche, Paris, 1994, p.42.

Le Livre du mois – novembre 2022

Interminablement la pluie

KAFU Nagai

Lors, plus que le vent et plus que la lune, et plus que le chant des insectes, il n’est sans doute pour celui qui vit seul rien d’aussi douloureux que la pluie. […]

“Ainsi, quand la pluie frappe les fenêtres. coule le long de l’auvent, dégoutte sur les arbres et lave les bambous, son écho l’emporte, pour émouvoir le cœur des hommes, sur le vent qui crie dans les arbres et sur l’onde qui suffoque dans les précipices. La voix du vent est voix de courroux, la voix de l’onde est de sanglots. Mais la voix de la pluie ne se courrouce ni se lamente; simplement elle se raconte et elle se confie. Depuis mille générations, le cœur humain reste le même, et qui donc, par une nuit solitaire, en écoutant de son oreiller le son de cette voix, ne se sentirait envahir par la mélancolie? […]” *

Un des premiers auteurs japonais que j’ai lu et qui a radicalement influencé mon amour pour le Japon. Un retour sur ce Japon d’Edo à travers le regard d’un passant nostalgique qui peine à accepter le nouvel air de la Restauration de Meiji et qui préfère discuter poésie et solitude.

Viens flâner dans les ruelles avec Kafû et respirer l’air d’un temps révolu, qui n’existe plus que dans les livres…

Au plaisir de lire tes commentaires!

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* KAFÛ Nagai, “Interminablement la pluie,”, éd. Picquier, Paris, 1994, p.52-53.

Le livre du mois – octobre 2022

Nagori, la nostalgie de la saison qui vient de nous quitter

SEKIGUCHI Ryoko

“Dans nagori, attachement, nostalgie et temporalités se mêlent.

Nagori évoque à la fois une nostalgie de notre part, pour une chose qui nous quitte ou que nous quittons, et la notion de quelque chose qui décale légèrement la saison, comme si cette chose même (par exemple des fleurs, la neige) ne quittait qu’à regret ce monde, et la saison qui est la sienne. C’est à la fois la chose et la personne qui la contemple qui sont dans le regret du départ.

L’étymologie du mot se rapporte à nami-nokori, “reste des vagues”, qui désigne l’empreinte laissée par les vagues après qu’elles se sont retirées de la plage. Cela comprend à la fois la trace des vagues, ces sillons immatériels dessinés par les vagues sur le sable, et les algues, coquillages, morceaux de bois et galets abandonnés sur leur passage. Il n’y a ni raison ni logique à cette accumulation en dépôt, mais une fois qu’elle est là, elle s’y établit pour un temps, éphémère.” *

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Ce livre est court et efficace, à la japonaise!

L’auteure aborde des thèmes variés comme les 72 saisons, le haiku, la cuisine japonaise ou encore les marchés en Occident pour nous faire réfléchir à notre propre ressenti face aux passages des saisons. Et en japonais tu as un mot dédié pour décrire le “reste des vagues” et ça c’est juste poétiquement génial !

Qu’est-ce que tu en dit?

Est-ce qu’il y a aussi un mot en français mais que je ne connais pas? parce qu’en Suisse on a beau chercher, mais la mer, y a pas… du coup j’ai peut-être simplement pas le bon vocabulaire.

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Au plaisir de lire tes commentaires!

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* SEKIGUCHI Ryoko, Nagori, la nostalgie de la saison qui vient de nous quit, P.O.L éditeur, 2018, p.31-32.