Obon, entre recueillement et divertissement

Célébrer les ancêtres au Japon

Fête importante au Japon, le Obon est célébré tous les ans autour du 15 août. Selon les régions, la date de la fête change, mais les coutumes restent assez similaires.

En général, les Japonais profite de ces quelques jours fériés pour rentrer dans leur ville ou village natal. En famille, ils se rendent sur les tombes de leurs ancêtres, nettoient les pierres tombales et y déposent des offrandes, le plus souvent des fleurs et de l’encens.

La coutume veut que l’on allume dans son jardin ou devant sa maison une lanterne (mukaebi) afin de guider les esprits des ancêtres jusque leur maison. On fera la même chose à la fin des festivités pour raccompagner les ancêtres sur le chemin de l’au-delà (okuribi). Les lanternes ont une place importante dans tous les festivals japonais, mais ici il y a vraiment la notion d’accompagnement : s’assurer que les esprits arrivent à bon port mais aussi (et surtout) qu’ils retrouvent le chemin pour repartir !

Sur l’autel familial, on prendra soin de déposer des offrandes, souvent de la nourriture, mais aussi des fleurs, de l’encens et même deux petites figurines particulières : un concombre et une aubergine flanqués de cure-dents.

Le concombre représente un cheval que pourront monter les esprits pour venir vite, alors que l’aubergine représente une vache, pour que les esprit repartent lentement afin de faire leur adieux, mais aussi parce qu’ils sont chargés d’offrandes. J’aime beaucoup ces petits aspects très concrets qui viennent donner de la profondeur à chaque rituel, chaque petit geste, répété inlassablement.

Un autre élément qui revient souvent, c’est le physalis. Cette plante, dont le calice laisse apparaitre le fruit rouge-orange au fur et à mesure que le temps passe, fait tellement penser à une lanterne qu’au Japon on l’appelle hoozuki (鬼灯) soit “lanterne-esprit”.

Vient ensuite le temps de la fête ! On sort pour voir défiler danseurs et tambours et on rejoint la foule qui danse dans les rues et les ruelles illuminés dans la nuit par des centaines de lanternes. Comme dit le refrain : “Que tu danses ou non tu es fou, alors autant danser!”. Cette ritournelle invite chacun à se joindre au groupe de danseurs afin de vivre pleinement ce festival joyeux et coloré mêlant recueillement, célébration et divertissement.

Le Obon à Genève en 2024

Cette année j’ai été invitée par le service des pompes funèbres de la Ville de Genève à animer un atelier de confection de lanternes flottantes dans le cadre du festival Obon organisé le 31 août (fig.1). Destiné aux enfants, cet atelier convivial m’a permise de parler des gestes et rituels typique de cette fête populaire, à commencer par le port du yukata (fig.2), mais aussi les différentes offrandes sur l’autel familial, le concombre et l’aubergine (fig.3) et bien sûr, les lanternes (fig.4-6).

Ce moment de créativité joyeuse nous a amené jusqu’à l’étang du cimetière Saint-Georges (fig.7), accompagné par les flûtes et les tambours, étang où nous avons laisser les lanternes voguer au gré de l’eau (fig.8, 9).

Quel beau moment et quelle magie de revenir à la nuit tombée admirer la danse des lanternes dans l’obscurité (fig.10-13).

La fête a ensuite battu son plein au rythme des danses (Atelier Nihon-Buyô Genève) et des tambours (Rémi Taiko) invités pour l’occasion. Une expérience rare de festival japonais au cœur de Genève!

Si tu n’as pas eu l’occasion de participer, j’envisage de faire un atelier lanterne à l’espace Gaimont pour accueillir l’automne. Si tu es intéressé.e n’hésite pas à me faire signe !

Bibliographie

Les ouvrages avec une * sont adaptés aux enfants de 6-8 ans.

  • IZUMI et LEBLANC Sophie (illustratrices), Bienvenue au Japon*, éditions MILAN, Toulouse, 2009.
  • JEGU Zoé, Japon, l’archipel aux 72 saisons, éditions Sully, Vannes, 2023.
  • LOIRET Guillaume, Le Japon: un pays, des hommes, une culture*, éditions MILAN, Toulouse, 2015.
  • MESSAGER Alexandre, Aoki, Hayo et Kenji vivent au Japon*, éditions de La Martinière, Paris, 2006.
  • PINON Matthieu, Une année japonaise : immersion dans le quotidien japonais au fil des douze mois de l’année, Ynnis Edition, Paris, 2017.
  • VARNAM-ATKIN Stuart, Le meilleur de la culture japonaise, une vue d’ensemble illustrée, éditions Sully, Vannes, 2017.

Textes et images sont soumis au droit d’auteur. (C) Le Japon avec Andrea, tous droits réservés.

3 livres à apprécier sous le parasol

C’est l’été. C’est le moment de s’autoriser de longue heures de lecture. Voici mes 3 livres fétiches du moment. Les 2 premiers je te les ai déjà présentés une fois ou l’autre, mais je les aime vraiment beaucoup! Le dernier je l’ai reçu pour mon anniversaire et je l’ai lu d’une traite… sur le transat au bord de la piscine!

Bon plan

Si tu n’as pas envie d’acheter ces livres (ou que tu les as déjà lu…), n’hésite pas à aller faire un tour dans la bibliothèque la plus proche de chez toi, tu y trouveras surement quelques livres japonais à ton goût.

Interminablement la pluie

Nagai Kafû

Lors, plus que le vent et plus que la lune, et plus que le chant des insectes, il n’est sans doute pour celui qui vit seul rien d’aussi douloureux que la pluie. […]

“Ainsi, quand la pluie frappe les fenêtres. coule le long de l’auvent, dégoutte sur les arbres et lave les bambous, son écho l’emporte, pour émouvoir le cœur des hommes, sur le vent qui crie dans les arbres et sur l’onde qui suffoque dans les précipices. La voix du vent est voix de courroux, la voix de l’onde est de sanglots. Mais la voix de la pluie ne se courrouce ni se lamente; simplement elle se raconte et elle se confie. Depuis mille générations, le cœur humain reste le même, et qui donc, par une nuit solitaire, en écoutant de son oreiller le son de cette voix, ne se sentirait envahir par la mélancolie? […]” *

Un des premiers auteurs japonais que j’ai lu et qui a radicalement influencé mon amour pour le Japon. Un retour sur ce Japon d’Edo à travers le regard d’un passant nostalgique qui peine à accepter le nouvel air de la Restauration de Meiji et qui préfère discuter poésie et solitude.

Viens flâner dans les ruelles avec Kafû et respirer l’air d’un temps révolu, qui n’existe plus que dans les livres…

L’amour, la mort et les vagues

Yasushi Inoue

“Ah, ce coin a l’air parfait!” pensa Sugi en arrêtant son regard sur un endroit, tout à fait à gauche de la grande falaise. Il y avait là des pins au-dessus desquels voletaient quatre ou cinq petits oiseaux de mer dont il ne connaissait pas le nom. Brusquement, ils repliaient leurs ailes et le laissaient tomber en ligne droite une dizaine de fois. Comme ils piquaient en plein sur les rochers, on pouvait croire qu’ils allaient s’y fracasser, mais ils faisaient volte-face, remontaient en décrivant un arc de cercle, puis plongeaient en vrille un peu au large de la bande d’écume.

“Vraiment idéal!” pensa Sugi. C’était la première fois qu’il se réjouissait d’avoir trouvé un endroit convenable pour se donner la mort; soulagé, il se mit à fumer.**

Juste incroyable! Tout l’art de Yasushi INOUE dans ces trois nouvelles toutes aussi surprenantes les unes que les autres. Trois histoires d’amour un peu étranges, un peu à côté, un peu pas comme on les imagine dans les romans… Tu seras à la fois charmé.e, intrigué.e, et bien sûr surpris.e par la chute de chacune de ces histoires où la vie aura finalement toujours le dernier mot.

La bibliothèque des rêves secrets

Michiko Aoyama

“Sirotant le café qui m’avait été servi, j’ai attrapé un livre en exposition. L’employée était retournée à la caisse. Je me suis dit qu’un moment de détente ici en compagnie des chats me suffisait : je pouvais rentrer chez moi.

Le chat, muni d’un collier orange, qui dormait tout à l’heure sur le coussin, a bondi sans un bruit. Il s’est aussitôt assis, agitant la queue. Nos regards se sont croisés.

“Tu es venu exprès pour savoir ce qui se trouve au-delà du rêve, non?”

L’impression qu’il me parlait m’a bouleversé.”***

Un livre doux, chaleureux, précieux. Un roman qui donne au livre un pouvoir magique, celui de changer le cours de sa vie. A travers le point de vue de 5 personnes aussi différentes qu’attachantes, nous est offert un tableau vivant de la vie au Japon, entre pression sociale, travail, vie de famille et des choix que chacun doit faire à un moment ou un autre afin de privilégier son bonheur ou sa carrière. Loin d’être lourd ou déprimant, l’accent est plutôt mis sur la surprise qui nous attend tous au détour du chemin, quand soudain un passage inattendu s’ouvre sous nos pieds. Une découverte !

As-tu déjà lu ces livres? Est-ce que toi aussi tu as des livres japonais fétiches?

Au plaisir de lire tes commentaires !

………….

* KAFÛ Nagai, Interminablement la pluie, éd. Picquier, Paris, 1994, p.52-53.

** INOUE Yasushi, La mort, l’amour et les vagues, éd. Philippe Picquier, Paris, p. 11.

*** AOYAMA Michiko, La bibliothèque des rêves secrets, éd. Nami, Paris, 2022, p.119.

Le iroha-uta, ou comment apprendre les hiragana avec style

En résumé, c’est l’équivalent poétique d’un abécédaire.

Littéralement, “i-ro-ha” sont les trois premiers signes du texte en question et 歌 (uta) qui signifie “chant, chanson, récitation, poème”.

Il s’agit d’une récitation (un peu à la manière d’un sûtra) qui utilise toutes les lettres du syllabaire hiragana* et qui a été utilisé pendant très longtemps comme base de l’apprentissage de la langue japonaise.

Inventé entre le Xe et le XIe siècle (le témoignage le plus ancien de ce poème date de 10791) et d’auteur inconnu, ce chant a profondément marqué l’enseignement du japonais et ce jusqu’à l’époque moderne. On retrouve cet arrangement de kana dans de nombreux dictionnaires et liste alphabétique de l’époque médiévale comme par exemple le 色葉字類抄 Iroha jiruishô (Recueil de mots classés selon l’ordre i-ro-ha) à la fin de l’époque Heian (794-1185).2

Maîtriser parfaitement ce chant était donc important pour les hommes de lettres du Japon ancien, tout comme il l’est aujourd’hui pour les chercheurs et spécialistes du Japon.

*On notera l’absence du “n” qui est apparu à l’époque Edo (1603-1868) et la présence du “wi” et du “we” aujourd’hui obsolètes.

  1. https://kotobank.jp/word/%E3%81%84%E3%82%8D%E3%81%AF%E6%AD%8C-32577#E4.B8.96.E7.95.8C.E5.A4.A7.E7.99.BE.E7.A7.91.E4.BA.8B.E5.85.B8.20.E7.AC.AC.EF.BC.92.E7.89.88 [consulté le 12.11.2023]
  2. Dictionnaire historique du Japon, livre 1, Maison franco-japonaise, éditions Maisonneuve et Larose, Paris, 2002, p.1194.

Illustration pour l’article Japon de l’encyclopédie Brockhaus et Efron, 1905.

On se rappelle que le japonais se lit de haut en bas et de droite à gauche.

Chant et traduction

Voici la transcription de ce poème :

いろはにほへと ちりぬるを

i ro ha ni ho he to chi ri nu ru wo


わかよたれそ つねならむ
wa ka yo ta re so tsu ne na ra mu

うゐのおくやま けふこえて

u wi no o ku ya ma ke fu ko e te


あさきゆめみし ゑひもせす

a sa ki yu me mi shi we hi mo se su

Et sa traduction :

La couleur maintenant éclatante, demain se fanera;

dans ce monde qu’y a-t-il de permanent?

Une fois passées les hautes montagnes de l’enchaînement des causes et des effets,

il n’y a plus ni illusions, ni jouissances.1

Si ça t’intéresse, voici le texte modernisé avec les kanji :

色は匂へど 散りぬるを
我が世誰ぞ 常ならむ
有為の奥山 今日越えて
浅き夢見じ 酔ひもせず

Basé sur une métrique 7-5, ce poème a la forme d’un 今様 (imayô), genre poétique pratiqué dès le milieu de l’époque Heian (794-1185). Il s’agit d’une succession de quatre séquences de deux vers de 7 et 5 syllabes.2

Le sens de ce poème quant à lui est à rapprocher du sûtra du Nirvana (Nehan-kyô), qui nous met en garde contre les illusions de l’impermanence de toutes choses.

  1. Dictionnaire historique du Japon, livre 1, Maison franco-japonaise, éditions Maisonneuve et Larose, Paris, 2002, p.1193.
  2. Dictionnaire historique du Japon, livre 1, Maison franco-japonaise, éditions Maisonneuve et Larose, Paris, 2002, p.1194.

Pourquoi apprendre le iroha aujourd’hui ?

Parce qu’il est encore utilisé dans certains dictionnaires ou dans l’apprentissage de certaines disciplines traditionnelles comme la calligraphie. Mais aussi parce que cette chanson fait partie intégrante de la culture et de la langue japonaise.

C’est comme si un Japonais venait vers toi et récitait “Le corbeau et le renard” sans sourciller. C’est pas vital mais ça montre une certaine connaissance et surtout un intérêt profond pour la langue et la culture française.

Le iroha, c’est un peu pareil.

Tu n’es pas obligé de l’apprendre par cœur (même si ça en jette un peu quand même…), mais tu peux l’utiliser pour réviser tes hiragana ou t’aider à les apprendre autrement.

………………….

Si toi aussi tu veux apprendre les kana de façon ludique, découvre mes cartes KARUTA pour apprendre et révision tes hiragana et tes katakana.

………………….

(C) Le Japon avec Andrea

HAIKU : matcha et rituel d’écriture

Dans cet article, j’avais envie de te partager mon petit moment d’écriture, particulièrement propice quand vient l’automne et ses premières vagues de froids.

En temps normal, j’aime aller me promener et me laisser inspirer par la nature. Exposer son corps aux éléments rends les kigo beaucoup plus concret et permet parfois de “débloquer” l’écriture.

Aujourd’hui je te partage un autre rituel d’écriture que j’aime bien, qui ne nécessite pas cette fois de chausser bottes et cache-nez.

Le rituel

  1. J’aime me fouetter un thé matcha (voir la recette ci-dessous), m’installer confortablement sous un plaid ou à la fenêtre près du radiateur et sortir mon cahier dédié au haiku.
  2. Je choisis un kigo qui me plaît, m’inspire, me questionne ou me semble propice à l’écriture à ce moment précis.
  3. Je fais une liste de mots et d’émotions que m’évoque ce kigo. J’essaye d’ouvrir mon champ lexical et de me laisser surprendre.
  4. Je laisse le ou les poèmes venir à moi, tranquillement, sans pression.
  5. Tout en finissant mon matcha, je prends le temps de me détacher du/des poèmes écrits. C’est peut-être l’occasion de lire un ou deux haiku de mon auteur préféré ou de regarder par la fenêtre les jeux colorés de l’automne.
  6. Je prends ensuite le temps de relire mon/mes haiku (ça peut être plusieurs jours plus tard, donnant lieu à un nouveau moment de thé).

Les points à vérifier:

  • la métrique 5-7-5
  • 1 seul kigo
  • 1 seule émotion
  • les répétitions (de sons, de sens,…)
  • les rimes
  • est-ce qu’il y a de la place pour ton lecteur ?

Si un ou des points ne sont pas respecter ou me posent problème, je retravaille le poème ou j’en écris un nouveau.

Ce travail d’écriture est vraiment important et me permet de mieux me connecter à ma sensibilité et aux vibrations de la saison en cours. Je me sens ancrée dans le moment présent et quand je reviens sur ces poèmes plus tard, ils me satisfont et je me sens validée dans mon écriture.

Si je ne fais pas ce travail, par la suite je suis souvent déçue par mes poèmes car je réalise après coup qu’ils sont vides de sens ou redondant et qu’ils ne transmettent pas l’émotion ou le “tableau” que j’avais envie de partager.

Tu veux un exemple ?

Premier jet

sourire fugace

les doigts du vent

à la surface de l’eau

-> pas de kigo, trop descriptif, pas d’émotion

Version après travail

sourire fugace

dansant au vent d’automne

nos ombres mêlées

-> plus d’espace et de zones d’interprétation pour le lecteur.

Si tu veux découvrir toutes les étapes de travail d’un poème à l’autre, rejoins “Haiku : la boîte à outils”. J’y ai posté une vidéo où je détaille tout le processus.

Est-ce que toi aussi tu retravailles tes haiku ou préfères-tu les laisser tels quels ? Est-ce que tu aimes relire tes anciens poèmes ? J’ai hâte de te lire.

Recette du matcha

Matériel nécessaire:

  • un bol chawan ou bol à thé. Peut être remplacé par un bol d’environ 15cm de diamètre à fond assez plat.
  • une cuillère chashaku, longue cuillère en bois qui sert à mesurer le matcha (peut être remplacé par une cuillère à café)
  • un fouet chasen, fouet en bambou spécifique à la préparation du thé matcha, ou un petit fouet de cuisine.

Ingrédients (pour un thé léger usucha)

  • 2 cuillères chashaku (env. 1 c.c) de poudre de thé matcha
  • 160 ml d’eau à 80 C°
  • un wagashi de saison (pâtisserie traditionnelle japonaise) ou un morceau de takuan (pâte de haricot rouge sucré en barre) facile à trouver dans les magasins d’alimentation japonaise. Peut être remplacé par une petite pâtisserie occidentale.

Préparation du thé

  1. Faire chauffer l’eau jusqu’à frémissement (ne pas faire bouillir l’eau).
  2. Verser 2 cuillères chashaku de poudre de thé dans le bol.
  3. Verser environ 160 ml d’eau frémissante sur le thé et fouetter délicatement avec le chasen (ou le fouet de cuisine).
  4. Manger la pâtisserie japonaise AVANT de boire le thé. La douceur du wagashi va contrebalancer l’amertume du matcha et sublimer ton expérience.

Enjoy!

(c) Le Japon avec Andrea, 2023.

Les oies sauvages dans l’art japonais

Un de mes souvenirs les plus forts de mon premier voyage au Japon fut l’apparition de ces oiseaux et leur V reconnaissable, dans le ciel de Kyoto en octobre 2009. Pourquoi les oies sauvages? Parce que durant mes études en art japonais, j’ai eu l’occasion de la croiser souvent cette figure de l’oie sauvage. Elle est très présente, notamment dans la série “Les huit vues de Ômi” (Ōmi hakkei, 近江八景) de Ando Hiroshige.

Il en a réalisées plusieurs, toutes les plus audacieuses les unes que les autres d’un point de vue graphique et de composition. Tout comme les célèbres séries d’estampes “Les cinquante-trois stations du Tôkaidô” du même artiste ou “Les trente-six vues du mont Fuji” de Hokusai, ces images avaient pour but de faire voyager le lecteur ou de le renseigner en cas de déplacement sur les choses à ne pas manquer durant son trajet.

Ainsi les huit vues d’Òmi montrent toujours les huit mêmes vues :

  1. Temps clair à Awazu (Awazu seiran, 粟津晴嵐)
  2. Lune d’automne au temple Ishiyama (Ishiyama shūgetsu, 石山秋月)
  3. Les oies descendant à Katada (Katada rakugan, 堅田落雁)
  4. Nuit pluvieuse à Karasaki (Karasaki yau, 唐崎夜雨)
  5. Soleil du matin à Seta (Seta sekishō, 勢田夕照)
  6. Neige au crépuscule sur le Mont Hira (Hira bosetsu, 比良暮雪)
  7. Evening Bell at Miidera Temple (Mii banshō, 三井晩鐘)
  8. Retour au port à Yabase (Yabase kihan, 八橋帰帆)

Le talent et la virtuosité de l’artiste feront le reste.

La force des artistes japonais réside souvent dans leur capacité à reproduire dix fois le même thème avec toujours un point de vue différent, une prouesse graphique ou une audace spatiale qui rend chaque œuvre unique et digne d’intérêt.

La vue qui nous intéresse est évidemment la 3e, “Les oies descendant à Katada”. Katada est une petite ville côtière sur le lac Biwa (le plus grand lac du Japon, au nord de Kyoto) où les oies sauvages ont l’habitude de faire escale en automne.

Voici deux exemples d’œuvres sur ce thème réalisées la même année par Hiroshige :

Ando Hiroshige, Les huit vues d’Òmi, Oies descendant sur Katada, format yotsugiri (19.5 x 13.25 cm), ~1834-35.
Ando Hiroshige, Les huit vues d’Ômi, Oies descendant sur Katada, format ôban horizontal (39 x 26.5 cm), 1834-35 (Tenpō 5-6).

La différence de qualité s’explique par le type de commande. Si la première œuvre semble moins soignée, c’est qu’elle fait le quart de la taille de celle du dessous et que probablement les moyens de production étaient eux aussi réduits. La première œuvre était probablement un équivalent à la carte postale d’aujourd’hui, une image souvenir qu’on pouvait se procurer à moindre coûts dans les foires, chez les marchands de livres ou sur les lieux de passage. Tandis que la deuxième, plus luxueuse, entre dans la catégorie des nishiki-e (“image de brocard”, 錦絵), c’est à dire des estampes soignées coûteuses, commandées par de riches amateurs.

La règle d’or de ces séries d’estampes étaient de divertir, voire de surprendre. L’idée était que les amateur, selon leurs moyens, se procureraient la série entière si les œuvres sont assez originales. Encore plus lorsqu’il s’agit de commandes privées par de riches marchands. Ils espèrent épater la galerie et surprendre leurs amis lors de réunion entre amateurs éclairés. L’audace et l’originalité sont donc au cœur de la production de ces images.

Ando Hiroshige, Les huit vues d’Ômi, La baie de Katada (Katada no ura, 堅田の浦), format aiban horizontal (35 x 23.5 cm), 1852.

Des artistes comme Hiroshige ou Hokusai ont su prendre parti de cette situation et il nous pouvons encore aujourd’hui sentir vibrer les lignes et les couleurs de chaque composition.

(C) Le Japon avec Andrea

Matcha et fantaisie

La chambre de thé (suki-ya) ne prétend pas être autre chose qu’une simple cabane – une hutte de paille, ainsi que nous l’appelons. Les caractères originaux composant le mot suki-ya signifient “Maison de la Fantaisie”. […] La chambre de thé est à l’évidence une Maison de la Fantaisie puisqu’elle apparaît comme une structure éphémère construite à seule fin d’abriter une impulsion poétique. Elle est aussi une Maison du Vide en ce qu’elle est dénuée de toute ornementation, hormis ce qui peut y être placé pour satisfaire une nécessité esthétique passagère. Elle est, enfin, une Maison de l’Asymétrique parce qu’elle se voue au culte de l’Imparfait, et qu’on y laisse volontairement une part d’inachevé que le jeu de l’imagination peut compléter à sa guise.1

Poudre fine, vert intense, saveur rugueuse et délicate en bouche, douce sensation du tatami, simple éclat du chawan, vue imprenable sur un jardin, le thé matcha évoque immédiatement une myriade d’émotions et d’éléments esthétiques à celui qui tient le Japon dans son cœur.

Aujourd’hui je t’invite à un voyage sensoriel et savoureux. Non pas une cérémonie du thé, mais un “moment de thé”, de toi à toi, sans chichi, pour sortir (enfin) ce matcha de ton placard et prendre plaisir à le boire.

  1. OKAKURA Kakuzô, Le livre du thé, éd. Picquier poche, 2008, p. 76.

Ustensiles

  • un bol chawan ou bol à thé. Peut être remplacé par un bol d’environ 15cm de diamètre à fond assez plat.
  • une cuillère chashaku, longue cuillère en bois qui sert à mesurer le matcha (peut être remplacé par une cuillère à café)
  • un fouet chasen, fouet en bambou spécifique à la préparation du thé matcha, ou un petit fouet de cuisine.

Ingrédients

pour un thé léger usucha

  • 2 cuillères chashaku (env. 1 c.c) de poudre de thé matcha
  • 160 ml d’eau à 80 C°
  • un wagashi de saison (pâtisserie traditionnelle japonaise) ou un morceau de takuan (pâte de haricot rouge sucré en barre) facile à trouver dans les magasins d’alimentation japonaise. Peut être remplacé par une petite pâtisserie occidentale.

Préparation du thé

  1. Faire chauffer l’eau jusqu’à frémissement (ne pas faire bouillir l’eau).
  2. Verser 2 cuillères chashaku de poudre de thé dans le bol.
  3. Verser environ 160 ml d’eau frémissante sur le thé et fouetter délicatement avec le chasen (ou le fouet de cuisine).
  4. Manger la pâtisserie japonaise AVANT de boire le thé. La douceur du wagashi va contrebalancer l’amertume du matcha et sublimer ton expérience.

Enjoy!

(c) Le Japon avec Andrea, 2023.