La figure du chat au Japon à travers une œuvre de Hiroshige

Petit aperçu avant la conférence du 08 octobre prochain dans le cadre de l’Automne de Culture Japonaise 2023 (infos et inscription ici).

Le chat, toute une histoire

Au Japon comme ailleurs, la figure du chat est ambivalente, tantôt porte-bonheur, tantôt démon abominable. En un mot, le chat fascine.

Aujourd’hui je te propose l’analyse d’une estampe d’Andô Hiroshige tirée de sa célèbre série “Cent vues célèbres d’Edo” où le chat vient attirer notre attention.

Andô Hiroshige, Champs de riz à Asakusa et le festival Torinomachi (Asakusa tanbu Torinomachi mōde), in «Cent célèbres vues d’Edo» (Meisho Edo Hyakkei), planche n° 101, Hiver, entre 1857 et 1858, Brooklyn Museum.

Alors que les Japonais sont déjà friands de voyages et de découvertes, se développent un nouveau genre de série d’estampes représentant les célèbres lieux à voir absolument et ce à travers tout le Japon. Les «Cent vues célèbres d’Edo» s’inscrivent dans la tradition de ces séries à but touristique, ici abordant les lieux réputés incontournables de la capitale (Edo étant l’ancienne Tokyo).

Focus sur l’œuvre

Nous nous trouvons ici dans une chambre de courtisane du célèbre quartier de plaisir de Yoshiwara. Les différents détails de l’œuvre permettent de raconter une histoire tout en représentant un paysage en profondeur grâce à l’audace de la composition et à l’habileté de Hiroshige. En effet, les éléments du premier plan nous laissent subtilement deviner qu’une courtisane a reçu un client : les peignes en bambou décorés (coin inférieur gauche de l’image) et juste au-dessus le papier en rouleau.

Pourquoi ces deux éléments indiquent la présence d’une courtisane et de son client ? Les peignes sont appelés kumade et sont des souvenirs typiques associés au festival Torinomachi dont on voit la procession par la fenêtre. La présence de ces peignes ainsi que le fait qu’on les ait sortis de leur emballage pour être admirés, suggèrent que quelqu’un les a offert tout récemment (le client) et que quelqu’un les a reçu et les admirés (la courtisane). Quant au papier, que l’on aperçoit presque en passant, c’est ce qu’on appelle le «papier pour l’acte honorable» (onkotogami), qui est l’accessoire indispensable à toute courtisane.1

Il ne s’agit pas ici seulement de l’ingéniosité de l’artiste, mais bien une des particularités de ces estampes de luxe (nishikie) dont le but n’était pas uniquement de proposer de belles images à admirer en bonne compagnie, mais aussi l’occasion de montrer son goût et ses connaissances à travers un jeu de sous-entendu et d’éléments à multiple signification.

Là où un chat paisible semble s’adonner à la contemplation de l’euphorie et de l’activité humaine se déroulant à l’extérieur, en réalité un autre genre d’euphorie à lieu non loin, derrière le paravent tout juste esquissé.


L’artiste ne montre rien, mais nous révèle tout!

………….

  1. OUSPENSKI Mikhail, Hiroshige, Parkstone Press International, New York, 2008, p. 219.

Que vient faire le chat ici ?

Ici le chat a un rôle principal, mais par défaut… Je m’explique. Si la scène principale (la courtisane et son client) n’est que suggérée tout comme la procession en arrière plan, il faut bien trouver un sujet concret à l’image. C’est là que le chat entre en scène.

Le chat reste le symbole de l’intérieur confortable et chaleureux. Ici aucune référence à son ambivalence symbolique (queue coupée, pelage blanc et gris), il s’agit donc d’un chat de compagnie ordinaire, qui se prélasse devant la fenêtre et par ce stratagème, nous indique qu’il y a bien quelque chose à voir de ce côté. Sa présence est donc indispensable à la lecture de l’image.

Si tu veux des histoires de chat démon, je t’invite à la conférence sur la figure du chat dans les contes japonais du dimanche 08 octobre 2023 (infos et inscription ici).

(c) Le Japon avec Andrea.

JAPONAIS / Te lancer (enfin) grâce aux objectifs SMART

C’est quoi la méthode SMART au fait ?

C’est une méthode qui t’aide à rendre tes objectifs tangibles et à mieux les atteindre. Tu peux appliquer cette méthode à tes projets pro ou perso (au développement de ton business, à la rénovation de ta maison, etc.). Mais surtout, tu peux l’appliquer à ton apprentissage du japonais !

Comment ça marche ?

SMART comme…

Spécifique

  • quoi? qu’est-ce que tu veux accomplir?
  • qui? qui est en charge du projet? qui participe et à quel degré?
  • où? quel lieu, quelle plateforme en ligne?
  • pourquoi ? pourquoi cet objectif est-il important pour toi?

Mesurable

  • Comment suivre tes progrès?
  • Quels sont les indicateurs de performance?
  • Comment savoir quand l’objectif est atteint ?

Atteignable

  • Est-ce que ton objectif est réaliste par rapport à tes ressources et contraintes du moment ?
  • Est-ce que tu as toutes les capacités requises?
  • Quelles sont les étapes ou les actions nécessaires pour réaliser l’objectif?

Réaliste (pertinent)

  • Est-ce que cette action est vraiment pertinente par rapport à tes objectifs sur le long terme ?
  • Est-ce le bon moment pour te lancer dans cette action ?

Temporel

  • Quand vas-tu commencer ?
  • Quelle est la date que tu te fixes pour accomplir ton objectif?
  • Y a-t-il des étapes intermédiaires ?

Et pour mon japonais alors ?

Prends-toi 1h avec une boisson qui te fait du bien, dans un coin qui t’inspire. C’est parti!

Dans un carnet (sur une feuille ou une page Notion, ce qui te convient dans ton quotidien) note toutes ces questions en fonction de la pertinence de celles-ci par rapport à ta propre situation.

L’idée c’est qu’à la fin de cet exercice tu sois muni.e d’une marche à suivre et d’objectifs clairs auxquels tu vas pouvoir te référer en cas de coups durs, de passages à vide, de grosse démotivation…

Fait en sorte d’avoir toujours cette liste à portée de main dans ces cas-là, tel un soutien inconditionnel et un rappel que tous ces efforts mènent à un objectif final qui te tient à cœur.

Un exemple concret

On est en septembre, et la reprise des cours et des bonnes résolutions est d’actualité. Avec mes élèves en cours privé, chaque début d’année on fait cet exercice pour poser les choses et s’assurer que les objectifs n’ont pas changé si ce n’est pas un nouvel élève (et si les objectifs ont évolué alors les cours seront adaptés). Cet exercice sert aussi à se rappeler la finalité des cours (boost de motivation garantis, surtout avec les ados) et commencer l’année avec une planification claire des étapes intermédiaires (X leçons ou points de grammaire avant Noël, X capacités acquise avant Pâques, maîtriser les phrases de survie avant le voyage au Japon au mois de X, etc.).

Cette année, avec mon élève Valentin on a fait l’exercice et voilà ce que ça donne :

Spécifique

  • Quoi et pourquoi ? Il part au Japon en mai 2024. Son but est de pouvoir communiquer en japonais lors de son voyage et de ne pas se sentir trop perdu. Il a appris les kana tous seul, mais n’est pas sûr de lui. Il va prendre 1 cours privé d’une heure par semaine avec moi et a du temps pour des devoirs. -> ce voyage l’a enfin décidé à se lancer dans le japonais, avant il en avait envie, mais ce n’était pas le bon moment pour lui.
  • Qui ? Lui et moi.
  • Où ? En ligne.

Mesurable

  • On a environ 7 mois pour le mettre à l’aise. On commence avec un temps de révision des kana et pour moi vérifier que tout va bien (écriture, lecture et rectifier les erreurs éventuelles).
  • On va partir sur les bases du japonais en mettant l’accent sur la conversation avec des phrases en début de cours et des questions à me poser. Au fur et à mesure, les phrases deviendront plus complexes.
  • L’idée est de faire une leçon par semaine avec exercices écrits et questions orales pour voir si les notions sont acquises. (si difficultés = exercices complémentaires).

Atteignable

  • Valentin a le temps en dehors de son travail de suivre les cours avec moi et de prendre au moins 1 temps de devoirs et révision en plus par semaine.
  • Il est motivé par la perspective de son voyage et sait exactement pourquoi il a choisi de prendre des cours.
  • Valentin n’est pas particulièrement studieux, mais avec ces objectifs clairs, il sait quoi faire (il a donc les capacités pour atteindre son objectif) et on est en train de mettre en place une routine applicable même les jours de non-motivation

Réaliste

  • Il ne souhaite pas être bilingue en 7 mois et il sait très bien que lors de son voyage et il ne comprendra pas tout, mais il souhaite être capable de poser des questions en cas de problème, de communiquer au restaurant, à l’hôtel et dans des situations du quotidiens.
  • En plus de ce voyage, Valentin adore les manga et les animés et a une passion pour la cuisine japonaise. Son apprentissage peut ainsi avoir plusieurs ramifications futures, ce qui est un atout.

Temporel

  • On a commencé les cours fin août 2023 et son voyage est fin mai 2024.
  • On a posé des étapes jalons pour tester ses connaissances et évaluer ses progrès : avant les vacances d’octobre, avant les vacances de Noël et avant les vacances de Pâques. On pourra ainsi vérifier que les objectifs sont toujours alignés et revoir le contenu des cours si nécessaire.

En résumé, Valentin a le temps (et va prendre le temps!), la motivation et les capacités pour apprendre le japonais et atteindre des objectifs concrets et réalistes avant son voyage en mai prochain. Les périodes d’évaluation seront importantes pour voir ses progrès et surtout s’adapter en cas de difficultés pour lui garantir une expérience magique au Japon.

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Si toi aussi tu veux te lancer dans le japonais avec une prof passionnée, apprendre les kana en autonomie ou encore participer à des ateliers de conversation, viens découvrir mes offres.

La roue des kigo d’été

Bon, ok , c’est toujours pas une roue, mais l’essentiel est là!

Tu es en panne d’inspiration?

Tu n’arrives pas à choisir un kigo ?

Tu veux un peu de fun dans ta vie ?

Bam, voilà une petite joie à ajouter à ta liste aujourd’hui!

Mode d’emploi

Fais une capture d’écran (ou une photo avec ton téléphone si tu ne sais pas ce qu’est une capture d’écran…) de ma petite animation ci-dessous pour découvrir le kigo à utiliser aujourd’hui !

L’idée te plait?

Découvre ma boite à outils spécial écriture de haiku!

Le principe?

Des jeux, des défis, des explications et des exercices concrets pour réellement comprendre et intégrer les notions recherchées dans tout bon haiku qui se respecte (dixit Bashô) :

  • des kigo efficaces
  • les mots de césures
  • la recherche de la simplicité
  • la maîtrise de la suggestion (au détriment de la description)
  • la légèreté
  • l’humour
  • la confrontation de l’immuable et de l’éphémère
  • etc.

Une fois que tu t’es procuré la boite à outils, tu y auras accès indéfiniment ainsi qu’à toutes les mises à jours (et nouveautés).

Infos et inscription ici !

Le livre du mois- juillet 2023

Le Rêve de Ryûsuke

Durian Sukegawa

Quel âge avait-il à l’époque? Quand sa mère lui avait montré une photo de l’île où s’était installé, seul, ce Sôichi Hashida dont elle lui parlait tant. Elle lui avait expliqué qu’il allait consacré sa vie à confectionner du fromage sur cette terre perdue au milieu de l’océan.

Même aux oreilles de l’enfant qu’était Ryôsuke, la voix de sa mère avait pris une intonation particulière.

Ce à quoi avait échoué son époux, cet ami intime s’y réessayait, loin d’ici. Lorsqu’elle l’avait expliqué à son fils, c’était la femme en elle qui parlait.

Sôichi, il garde toujours espoir.*

Un récit tout en délicatesse abordant des sujets forts comme le mal-être, la difficulté de trouver sa place dans une société où la quête du succès l’emporte sur tout le reste et les sacrifices qui jonchent le chemin menant à la réalisation de nos rêves. La description des paysages insulaires changeants et les caractères attachants des protagonistes font de ce livre un incontournable de mes lectures d’été.

Au plaisir de lire tes commentaires!

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*SUKEGAWA Durian, Le Rêve de Ryôsuke, éd. Le livre de poche, 2018, p.95.

Tanabata ou la fête des étoiles amoureuses

Chaque année, le 7 juillet, les Japonais fêtent Tanabata 七夕, une des cinq fêtes saisonnières importées de Chine (sekku 節句).

Si c’est l’occasion d’écrire ses vœux sur des bandelettes en papier (tanzaku 短冊) qu’on accrochera ensuite à une branche de bambou, c’est aussi l’occasion de regarder les étoiles!

En effet, la légende de Véga et Altaïr est indissociable de cette fête estivale. Parvenue au Japon probablement dès l’époque Heian (794-1185), cette légende venue de Chine est largement popularisée durant l’époque Edo (1603-1868).

De nombreuses étoiles se disent “double” ou “en couple” car elle partagent un même axe de gravité. Ces étoiles ont de tous temps stimulé l’imagination des conteurs et il existe de nombreuses variantes sur le légende des étoiles amoureuses dont voici la trame :

La légende de Tanabata (“la septième nuit”) met en avant l’histoire d’amour entre une déesse tisserande Orihime (Véga) et un bouvier humain Hikoboshi (Altaïr).

Pour lui, celle qui tisse “les habits de nuages” quitte le monde céleste, l’épouse et lui donne deux enfants. La mère de la déesse (ou le père selon les versions) la retrouve et la fait revenir dans le monde des dieux. Pour empêcher le bouvier bien décidé à retrouver sa femme d’arriver au royaume céleste, les dieux séparent les deux mondes par une rivière infranchissable, la Voie lactée.

Devant les pleurs incessant de la déesse d’un côté, du bouvier et de ses enfants de l’autre, les dieux leur accordent de se retrouver une fois par an, la septième nuit du septième mois.

Dès lors, chaque année, les Japonais fêtent ces retrouvailles amoureuses et accrochent leur vœux d’amour et de bonheur à des branches de bambou, symbole de bon augure et , selon la croyance populaire chinoise, capable de refouler les esprits malveillants responsables des séparations conjugales.

Alors, est-ce que tu vas fêter Tanabata cette année?!

Yoshitoshi, La Lune et la Voie lactée, in “Cent aspects de la Lune”, estampe ukiyo-e, avant 1892.

Image d’en-tête : Ando Hitoshige, La ville florissante, festival de Tanabata, in “Cent vues d’Edo”, estampe ukiyo-e, 1857, détail.

Haiku décortiqué #3 : Matsuo Bashô

Pour ce nouvel “haiku décortiqué”, je t’invite à découvrir un haiku d’été de Matsuo Bashô (1644-1694).

Petite récapitulation de ce qu’on attend d’un haiku classique:

  • la métrique 5-7-5, qui donne au haiku classique tout son sens et rend le poème réutilisable dans différentes situations (renga).
  • 1 kigo ou mot de saison qui pose un décor, provoque des images et des sensations dans l’imaginaire du lecteur
  • 1 mot de césure qui viendra donner de la profondeur au poème en suggérant une émotion plus ou moins intense.

L’analyse en image:

La métrique 5-7-5

Si ici le poème entier fait bien 17 syllabes, la métrique 5-7-5 est un peu bousculée en français… (en japonais elle est bien présente).”Le chant des cigales” est une ligne en 5+ (5 syllabes + 1 e muet) et la troisième ligne est de 4 syllabes.

Étant une traduction et non un de mes poèmes, j’ai choisi de privilégier le sens japonais et de ne pas ajouter un adjectif qui compléterait la métrique. Pourquoi? Parce que Bashô n’a pas préciser la nature de son silence. Est-ce que c’est un silence doux? profond? salvateur? étonnant? Mystère. En traduction, choisir d’ajouter un adjectif ou un mot risque de donner une autre intension au poème que celle initialement voulue par Bashô. Risque que je n’ai pas voulu prendre!

En japonais, une des raisons pour lesquelles la métrique 5-7-5 est tellement utilisée en littérature, est qu’elle est naturellement présente dans la langue japonaise. Des expressions et locutions courantes utilisent cette métrique et comme on le voit bien ici, shi-zu-ka-ya, pas besoin de fioriture.

En français bien sûr, c’est un peu différent. Donc si pour combler le nombre de syllabes tu choisis de mettre un adjectif, voici quelques questions à te poser :

  • Qu’est-ce que ce mot va apporter à ton poème ?
  • Est-ce que tu as déjà mis 3 autres adjectifs ?
  • Est-ce qu’il y a répétition ?
  • Est-ce que cet adjectif supporte le sens général de ton poème ou est-ce qu’il amène de la confusion ?
  • Est-il vraiment utile au niveau du sens ?
  • Comment faire pour le rendre utile ?

Un kigo

Ici le chant des cigale, élément incontournable des étés à la campagne. Il s’agit d’un kigo très efficace car si tu as déjà passé un été dans le sud ou près des champs, tu sais ce qu’il implique: chaleur, soleil, silence lourd de la sieste, bruit de fond incessant, etc. Pour chaque lecteur, l’effet sera différent. Ce qui est certain, c’est qu’une panoplie de sensations et d’émotions vont surgir du fond de chaque mémoire pour rendre ce kigo tangible et donner une dimension sonore et vivante à ce poème.

Un mot de césure

Ici le mot de césure en japonais est ya, qui donne une nuance de surprise, d’étonnement et d’admiration. Si kana marque plutôt l’emphase, ya marque la surprise suivie de l’admiration face à l’élément qui le précède, ici le calme, la tranquillité, le silence (shizukasa).

Attention, il y a autant d’interprétation que de lecteur! Par exemple, est-ce que chant des cigales est tellement présent qu’on finit par ne plus l’entendre? est-ce que le chant des cigales fait partie intégrante du “tableau” de l’été et confère à ce temps estival son rythme calme? est-ce qu’au contraire, parce que l’auteur est dans la montagne le chant des cigales est littéralement absorbé par la roche? Tout est possible.

Alors ?

Et toi, quelle est ton interprétation?

Est-ce que ce genre d’analyse poussée t’aide, te questionne, te confond en perplexité ? N’hésite pas à partager tes ressentis avec moi.

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(C) Le Japon avec Andrea, 2023, tous droits réservés.

Le livre du mois- juin 2023

Japon, L’archipel aux 72 saisons

Zoé Jégu

La division de l’année en 24 saisons est relativement répandue auprès du grand public. A la télévision, les bulletins météo y font régulièrement allusion et certaines marques n’hésitent pas à en faire un argument marketing.

Les 72 micro-saisons, en revanche, ne sont connues que par les personnes qui s’intéressent de près à l’ancien calendrier. C’est notamment le cas des haïkistes qu choisissent avec précaution les expressions saisonnières (kigo 季語) pour leurs poèmes.*

Shôman (小満) : La petite abondance, à partir du 21 mai

La vie sous toutes ses formes commence à foisonner : la végétation devient luxuriante, les insectes volettent dans les airs, les fleurs s’épanouissent, les fruits mûrissent… Toute la création est parcourue d’une énergie de croissance et de vitalité. […] **

Si tu aimes écrire des haiku ou en lire ou simplement suivre les changements de saison dans leur microcosme, ce livre est fait pour toi ! Simple, clair, avec des explications fouillées et de magnifiques illustrations, ce livre est à feuilleter au fil des saisons ou à étudier consciencieusement. Entre fêtes traditionnelles, coutumes populaires et activités humaines, prépare-toi à un véritable voyage au Japon sans bouger de ton canapé.

Au plaisir de lire tes commentaires!

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*JEGU Zoé, Japon, L’archipel aux 72 saisons, éd. Sully, 2023, p.15.

** Ibid, p.60.

Utamaro et ses “insectes choisis”, ou comment les insectes peuplent les images à l’époque Edo (3/3)

Si Utamaro (vers 1753-1806)est principalement connu pour ces estampes de courtisanes (美人絵, bijin-e), ici j’ai choisi de te présenter une planche de son album “Insectes choisis” (絵本虫選, Ehon mushi erami) publié en 1788. Album appartenant à une trilogie un peu à part dans l’œuvre d’Utamaro, mettant à l’honneur les insectes, les coquillages et les oiseaux.1

Cet album est composé de planches représentant une plante ou autres végétaux et une ou plusieurs variétés d’insectes. C’est un bel exemple de gravure dans un style réaliste et détaillé, réalisées d’après une observation minutieuse de la nature et non plus d’après les modèles iconographiques classiques.2

L’ensemble est complété pour une série de poèmes parodique dits kyôka (狂歌) « chant sans rime ni raison » ou « poésie folle ». Présentant les mêmes caractéristiques formelles que le poème classique tanka (短歌), il est composé de 31 syllabes (5-7-5/7-7). Sa particularité réside principalement dans le choix des mots et le langage vulgaire utilisé.3 Son caractère collectif (l’écriture de kyôka se fait généralement lors de réunion de poètes où chacun compose une partie de l’ensemble) ainsi que son ton burlesque le rapproche d’ailleurs du haikai (ancêtre de la forme du haiku).4

Ce modèle d’association de poèmes et d’illustrations est hérité des concours littéraires thématiques organisés au sein de cercles d’amateurs. Dans cet album en particulier, chaque poème fait référence de façon subtile et raffinée à l’insecte représenté par Utamaro, représentant un défi de taille.5

  1. MARQUET, p.21.
  2. Ibid, p.22.
  3. Ibid, p. 30.
  4. ORIGAS, p. 161.
  5. MARQUET, p. 31.
Utagawa Utamaro, Libellule (Kagerō ou Tonbo), in “Ehon mushi”, 1788.

Un exemple concret : Libellule et papillons

Voici le poème proposé par Marena Toshinari à propos du papillon :

Chô –

yume no ma wa

chô tomo keshite

suite mimu

koishiki hito no

hana no kuchibiku

– le papillon –

le temps d’un rêve

se muer en papillon

pour butiner

comme une fleur les lèvres

de celle dont je languis1

Ici, la délicatesse du dessin et la douceur des tons sont sublimées par ces quelques mots badins, ou est-ce l’inverse ? Ne seraient-ce pas ces mots qui par cette subtile association visuelle gagnent en profondeur? Peu importe, le résultat est prenant et on ne s’étonnera pas que ce livre d’images reste un des plus bel exemple du talent de Utamaro.

Si on revient à nos amis les insectes, on remarque que sur cette planche, ils sont clairement mis en valeur par un jeu de composition et d’agencement entre texte calligraphié et éléments naturels. Contrairement à l’exemple tiré du “Précis de peinture du Jardin du grain de moutardedans l’article précédent, ici l’insecte ne sublime pas la fleur : il est bel et bien le thème principal !

On a donc un clair changement de perception de la nature et de ses habitants ainsi que dans le façon de les reproduire, passant d’accessoire à significatif. Le large développement des études zoologiques et des techniques scientifiques n’y est pas étranger et les artistes deviennent des vecteurs importants de transmission de ce changement de point de vue au sein d’un public de plus en plus nombreux.

  1. MARQUET, p. 95.

Utamaro (vers 1753-1806) s’est formé auprès de Toriyma Sekien (鳥山石燕), peintre de l’école Kanô (kanô-ha 狩野派). Il adopte son nom Utamaro (歌麿) vers 1781 alors qu’il se met à peindre des images de “belles femmes” (美人絵, bijin-e), après s’être exercé à la peinture d’acteurs de kabuki. Son œuvre (plus de 2600 estampes) est très riche et versatile et nous propose également des portraits en buste ou en pied et des recueils à portée zoologique.1

Bibliographie

  • MARQUET Christophe (textes et poèmes traduits et présentés par), Kitagawa Utamaro, insectes choisis – Myriades d’oiseaux, éditions Philippe Picquier, Arles, 2012.
  • ORIGAS Jean-Jacques, Dictionnaire de littérature japonaise, Puf, Paris, 2000.

(C) Le Japon avec Andrea.

Le livre du mois- avril 2023

Izumi Shikibu, poèmes de cour

YOSANO Fumi

つれづれと物思ひをれば春の日のめに立つ物は霞なりけり

tsuredzure to mono omohi woreba haru no hi nomeni tatsumono ha kasumi narikeri

Comme je passais mon temps en songeries

ce qui se présenta à mes yeux en cette journée

de printemps fut la brume *

.

螢火は木の下草も暗からず五月の闇は名のみなりけり

keika ha ki no shitakusa mo kurakarazu gogatsu no yami ha na no minarikeri

Sous les feux des lucioles,

les sous-bois ne sont pas sombres

Les ténèbres de mai ne le sont que de nom. *

.

朝風にけふおどるきて數ふれば一夜のほどに秋は来にけり

asakaze ni kefu odorukite sufureba ichiya no hodoni aki ha kinikeri

Surprise aujourd’hui par le vent du matin

je compte les jours

En une nuit, l’automne est arrivé *

.

寝る人をおこすともなき埋み火を見つつはかなく明かす夜な夜な

neru hito wo okosu tomonaki uzumibi wo mitsutsu hakanaku akasu yonayona

Ces nuits et ces nuits

à attendre tristement l’aube

en regardant le feu enfoui sous la braise

sans réveiller celui qui dort *

Est-ce que tu connais la forme du tanka? Il s’agit de la forme poétique japonaise classique et est composé de 31 syllabes (5-7-5 / 7-7). Et oui, le 5-7-5 que l’on appelle hokku va amener à la forme du haikai (époque Edo 1603-1868) d’abord puis du haiku (ère Meiji 1868-1912) ensuite.

Dans ces tanka d’Izumi Shikibu, poétesse de cour à l’époque Heian (794-1185) on ressent une atmosphère teintée de nostalgie, d’attente, mais aussi une sourde tristesse qui nous entraînent dans un tourbillon d’émotions bien loin des jeux cocasses d’Issa ou du réalisme de Bashô.

Ici chaque expression fait référence à des images codées et définies à travers le temps et le langue poétique pour arriver à l’essence des sentiments humains dans leur subtil écho à la nature. Bonne découverte!

Au plaisir de lire tes commentaires!

……………………………………………………………………..

*YOSANO Fumi (traduit et présenté par), “Izumi Shikibu, poèmes de cour”, édition Orphée / La Différence, 1991.

Référence des poèmes cités :

  1. p.27
  2. p.29
  3. p.40
  4. p.41

Un nouveau point de vue, ou comment les insectes peuplent les images à l’époque Edo (2/3)

Si dans le dernier article, je me suis concentrée sur le motif du papillon et de la pivoine, aujourd’hui j’ai envie de te partager l’influence primordiale que l’Occident et surtout ses outils optiques ont eue sur la représentation des insectes dans l’art japonais.

Les insectes comme genre artistique

Hérités de la peinture chinoise, les différents genres en peinture japonaise sont divisés selon les thèmes représentés: les peintures “de fleurs et d’oiseaux” (花鳥絵, kachô-e), les peintures de paysages ou “de montagne et d’eau” (山水画, sansui-e), les peintures “de fleurs et d’arbres” (花木絵, hanaki-e) ou encore, celle qui nous intéresse, les peintures “d’herbes et d’insectes” (葉虫絵, hamushi-e).

La source principale d’inspiration de motifs pour cette catégorie reste, jusqu’au développement des “études hollandaises” que nous aborderons plus loin, le fameux “Précis de peinture du Jardin du grain de moutarde“. Rédigé comme un manuel à l’usage des peintres, il s’agit d’une véritable encyclopédie de peinture chinoise, écrite au début de la dynastie Qing (1644-1912). On y trouve un répertoire de motifs, de techniques de dessin et d’applications des couleurs d’une aide précieuse non seulement si l’on souhaite s’initier à l’art chinois, mais aussi si l’on veut comprendre l’essence des œuvres anciennes.


“Pavot, à l’imitation d’une peinture de Ts’ien Chouen-kiu”
in “Les Enseignements de la Peinture du Jardin grand comme un Grain de Moutarde”
Source : http://classiques.uqac.ca/classiques/chine_ancienne/B_autres_classiques/KIAI_TSEU_YUAN_HOUA_TCHOUAN/KIAI_TSEU_YUAN_illustrations_3.html [consulté le 13.04.2023]

Dans ce genre artistique, ne nous méprenons pas, les insectes servaient surtout de décoration, d’éléments annexes pour “varier la peinture des fleurs”. Dans l’exemple ci-dessus, si le papillon attire notre regard, ce n’est pas le sujet principal de l’œuvre. Il sert à divertir l’œil et éviter la monotonie de scènes inertes et figées par la succession de copies au fil des siècles.


“Premier exemple d’insectes de plantes herbacées à
dessiner pour varier [la peinture des fleurs]. Papillons”
in “Les Enseignements de la Peinture du Jardin grand comme un Grain de Moutarde”
Source : http://classiques.uqac.ca/classiques/chine_ancienne/B_autres_classiques/KIAI_TSEU_YUAN_HOUA_TCHOUAN/petrucci_moutarde.pdf [consulté le 13.04.2023]

Plus qu’une observation scientifique des insectes, il s’agit plutôt d’une représentation essentialiste, presque symbolique. Ces insectes ont donc souvent la même forme et sont représentés selon le même angle par de nombreux artistes différents. Il n’y a pas une réelle compréhension ou recherche de l’anatomie d’un point de vue scientifique, mais plutôt comme une appréciation générale de la forme de l’insecte, dans le respect du canon de représentation hérité de la peinture chinoise.

Les peintres japonais vont vraiment s’attacher à représenter au plus près cette esthétique chinoise et cet idéal de représentation philosophique et harmonieuse de la nature.

Cette approche des insectes et de leur représentation connaît un franc succès auprès d’amateurs éclairés qui aiment se perdre dans l’observation, la collection mais aussi reproduction d’une variété incroyable d’insectes.1 Ces images ont souvent été regroupées dans des annales ou encyclopédies illustrées à caractère plus ou moins “scientifique” et qui vont servir de base pour la composition de travaux artistiques. Les encyclopédies ou les annales illustrées les plus connues encore aujourd’hui ont été dessinées et compilées par des daimyô (seigneurs guerriers de haut rang).

  1. TSUKAMOTO, p. 278.

Des daimyô amoureux de la nature

Traditionnellement l’observation et le recensement des espèces d’insectes étaient le travail de spécialistes des affaires médicales chinoises au sein du gouvernement japonais. On recensait donc les insectes plus pour leurs vertus curatives et pour leur utilisation dans le quotidien que pour leur vraie beauté intrinsèque. Cette pratique a un lien étroit avec le modèle de la médecine chinoise, mais petit à petit les seigneurs y prennent goût et l’observation et la collecte d’insecte vont devenir une réelle occupation de loisir.1 Rappelons également qu’à l’époque Edo le rôle des guerriers évolue. Les guerres de clans n’étant plus qu’un lointain souvenir, les guerriers trouvent de nouvelles occupations dans l’enseignement, la poésie, les arts, etc.

Pourquoi les daimyô? On offrait traditionnellement des insectes à la maison du shogun (chef des armées, dirigeant militaire officiel du Japon à l’époque Edo) pour nourrir les faucons. Le faucon est l’emblème par excellence de la figure guerrière et offrir de quoi nourrir ces rapaces était un devoir important. Dès 1770 le ramassage d’insectes s’intensifie donc et on commence à recenser de nombreuses espèces jusque là peu étudiées.

Le daimyô le plus célèbre parmi ces amateurs de haut rang reste Masuyama Sessai (1754-1819). Son encyclopédie est encore remarquée aujourd’hui, mais il est surtout connu pour avoir fait édifier après sa mort un mausolée afin d’honorer l’âme des insectes sacrifiés lors de ses observations minutieuses. On peut encore le visiter au sein du temple Kan.ei-ji à Tokyo.2

  1. TSUKAMOTO, p. 278.
  2. MARQUET, p. 23.

Le microscope, ce révolutionnaire

Cette approche du monde des insectes va radicalement changer à l’époque Edo, avec l’arrivée des bateaux occidentaux chargés d’objets variés, de livres et de matériel scientifique comme le microscope en vue de commercer avec le Japon. Rappelons ici que le Japon a fermé ses frontières et son commerce aux Occidentaux (avec une exception pour les bateaux néerlandais) dès 1640 et ne les rouvrira qu’en 1853, un peu avant l’avènement de l’ère Meiji. Le commerce privilégié entre la Hollande et le Japon va donner lieu aux “études hollandaises” ou rangaku.1

Il est particulièrement intéressant de réaliser que le Japon n’a de contact avec l’Occident qu’à travers la Hollande pendant plus d’un siècle. Les Japonais vont donc apprendre le néerlandais pour traduire les livres et communiquer avec les marins, fait assez exotique car après l’ouverture des frontières à la fin de l’époque Edo ils réalisent qu’en Occident personne ne parle néerlandais à part les Hollandais!

Anonyme, Microscope, in Kômô Zatsuwa (紅毛雑話), 1787, National Diet Library, Tokyo.

Ce goût pour l’exotisme occidental se traduit par le commerce de petits objets, de verrerie, de livres, de peignes, etc.2 Ce sont surtout les instruments de mesure et de vision comme la loupe, les lunettes ou encore le microscope ainsi que les traités illustrés de zoologie et de botanique qui vont fasciner les Japonais.3 Grâce à ses nouveaux outils optiques les observations d’insectes, qu’elles soient scientifiques ou artistiques, vont se développer de manière phénoménale et l’impact de cette nouvelle façon de voir le monde sur un public avide de nouveautés et d’exotisme venus de cet étranger interdit est important.4 Les artistes sont les premiers concernés par cette nouvelle approche et cette nouvelle représentation de la nature.5

  1. SCREECH, p.6.
  2. Ibid, p.8.
  3. MARQUET, p.23.
  4. SCREECH, p.194.
  5. IMAHASHI, p. 146.
Shiba Kôkan, Mouches et moustiques, in Kômô Zatsuwa (紅毛雑話), 1787, National Diet Library, Tokyo.

Le microscope ainsi que tous les outils optiques (les lunettes, la loupe, la longue vue, etc.) vont ouvrir des perspectives qui vont permettre une observation beaucoup plus minutieuse et plus scientifique de chaque insecte.

Petite anecdote révélatrice, la loupe en japonais se dit 虫眼鏡 (mushi megane) soit “lunettes/verre à insectes”.

Dans mon prochain article, je te présenterais une œuvre de Utamaro tirée de son album “Insectes choisis” (絵本虫選, Ehon mushi erami) publié en 1788. De quoi parler fleurs, de papillons et poésie burlesque en prenant le café.

Bibliographie

  • IMAHASHI Riko, Edo no dôbutsuga – kinsei bijutsu to bunka no kôkogaku 江戸の動物画、近世美術と文化の考古学 (“Les images d’animaux à l’époque d’Edo – archéologie de l’art et de la littérature moderne”), Tôkyô Daigaku Shuppankai 東京大学出版会, Tôkyô, 2004, 344 pp.
  • MARQUET Christophe (textes et poèmes traduits et présentés par), Kitagawa Utamaro, insectes choisis – Myriades d’oiseaux, éditions Philippe Picquier, Arles, 2012.
  • SCREECH Timon, The Lens Within the Heart: The Western Scientific Gaze and Popular Imagery in Later Edo Japan, University of Hawaii Press, 2002.
  • TSUKAMOTO Manabu, Edo jidai jin to dôbutsu 江戸時代人と動物 (“Les Hommes d’Edo et les animaux”), Nihon edita sukuru shuppanbu 日本エデイタースクール出版部, Tôkyô, 1995, 328 pp.
  • “Précis de peinture du Jardin du grain de moutarde” (version numérique) : http://classiques.uqac.ca/classiques/chine_ancienne/B_autres_classiques/KIAI_TSEU_YUAN_HOUA_TCHOUAN/petrucci_moutarde.pdf [consulté le 13.04.2023]